Des avocats Français dénoncent « un procès fantoche » de l’attentat du Bardo

Trois ans et demi après la fusillade au musée du Bardo en Tunisie, un procès doit se tenir ce mardi 6 novembre à Tunis. Les victimes françaises et leurs familles se disent circonspectes sur la méthode.

Trois ans et demi après, et après quatre reports, le procès s’ouvre mardi en Tunisie. Et il s’annonce express. Deux journées sont prévues pour juger plusieurs dizaines d’accusés avec la peine de mort comme éventualité. Les rescapés et proches des Français tués au Bardo suivront l’audience à distance en visioconférence, et avec traducteurs, à Paris. Les accusés seront filmés de dos. Une méthode qui n’est pas pour satisfaire ces victimes qui ont déjà dû se cotiser pour payer leur avocat, car les autorités françaises ne leur ont pas versé un centime.

Deux jours d’audience en deux semaines pour juger 56 accusés, dont la moitié est en fuite en Syrie. Cinq minutes d’intervention en français autorisées aux avocats des victimes françaises qui se sont déplacées à Tunis. Lesdites victimes privées d’aide juridictionnelle, faute de texte la prévoyant lorsque les faits se sont déroulés à l’étranger, et dont la majorité a choisi de ne pas s’y rendre. Une retransmission vidéo à Paris obtenue de haute lutte mais fermée au public et à la presse…

C’est dire si le procès de l’attaque du musée du Bardo, qui s’ouvre ce mardi matin à Tunis après plusieurs reports, est accueilli avec réserve par les rescapés et les proches des victimes. Me Pauline Manesse, qui défend 27 d’entre elles avec Me Gérard Chemla, résume : « Les victimes du Bardo ont toujours eu le sentiment d’être des victimes à part, de compter moins que les autres de l’année 2015. »

De nombreux doutes

18 mars 2015. Vers 12h30, deux terroristes armés de kalachnikovs font irruption au musée national du Bardo. L’attaque, revendiquée par le groupe terroriste État islamique( Daech ), dure près de trois heures avant l’assaut des forces de l’ordre, qui les « neutralisent ». C’est un carnage : 22 morts, des touristes de onze nationalités dont 4 Français. Des dizaines de blessés, parmi lesquels 11 compatriotes.

La France ouvre une instruction « miroir », de principe. La Tunisie, bientôt frappée par un autre attentat à Sousse (38 touristes assassinés), boucle la sienne après quatorze mois d’une enquête émaillée, selon les avocats français, de dysfonctionnements. Parmi ceux-ci, rappelle Me Philippe de Veulle, qui défend 5 victimes, « la libération de six présumés complices, au motif qu’ils auraient été torturés ». Il en doute, les certificats médicaux n’ayant jamais été transmis à la justice française.

Dans un courrier au Premier ministre mi-octobre, après une dernière réunion préparatoire à la délégation interministérielle à l’Aide aux victimes (la Diav n’a pas répondu à nos sollicitations), deux autres avocats listent leurs griefs, exprimant leurs « doutes quant à la capacité de la justice tunisienne à gérer ce procès dans des conditions de transparence et d’équité acceptables ».

« Procès fantoche ! »

Mes Géraldine Berger-Strenger et Gérard Chemla soulignent ne disposer que d’un cinquième du dossier, les autres pièces n’ayant pas été traduites. Ils déplorent que les deux instructions, sur le Bardo et sur Sousse, jugée dans la foulée, n’aient pas été jointes. Ils redoutent un procès « sans avocats français » ni « associations de victimes », exclues des frais de déplacement alloués aux personnes physiques.

« Procès fantoche ! » peste Me Philippe de Veulle, qui a choisi de rester à Paris. « Même si les victimes sont spectatrices, nous avons estimé important de montrer notre présence aux autorités tunisiennes et d’avoir notre regard », explique Sophia Seco, qui représentera la Fédération nationale des victimes d’attentats (Fenvac) à Tunis.

Peu rassuré par le récent attentat kamikaze qui s’y est produit, Serge Mayet, rescapé et président de l’Association de défense et de mémoire des victimes de l’attentat du Bardo, assistera au procès depuis Paris. Peu enthousiaste à la perspective « d’une image fixe où les accusés seront filmés de loin et sans interaction possible ». Il soupire : « Mieux vaut être une victime en France qu’à l’étranger. »

Source : leparisien.fr et europe1.