« Visages » , un portrait au vitriol de la société tunisienne des années 70

J’ai été attristé d’apprendre le décès de l’écrivain et journaliste Mohamed Bouamoud. Je me rappelle avoir été agréablement surpris en lisant son roman intitulé « Visages », tellement ce livre tranchait avec la banalité habituelle des productions littéraires nationales.

Dans un style foisonnant, oscillant entre désespoir et humour, violence et tendresse, ce roman écrit à la première personne, relate le quotidien sordide d’un petit fonctionnaire raté « ouvrier aux écritures » comme il se qualifie lui-même qui sans le vouloir, va se trouver mêlé au tumulte de la crise politique et sociale qu’a connue la Tunisie à la fin des années 70.

Dans ce roman Bouamoud a dressé un portrait au vitriol de la société tunisienne de cette époque et de ses différentes composantes. Avec sa plume acerbe, il décrivait une société gangrénée par l’hypocrisie et le matérialisme et qui se complaît dans sa propre médiocrité (en somme rien de nouveau).

Mais au-delà de la trame politico-sociale du livre, ce qui l’a rendu précieux à mes yeux c’est la plongée dans le Tunis underground des années 70. On y découvre une ville grisâtre et lascive dans laquelle l’auteur met en scène une faune bigarrée composée de putains au grand cœur, de gauchistes lubriques (pléonasme), de journalistes complaisants (encore un pléonasme) et de voyous patibulaires.

Tout à la fois récit d’une vie ratée, descente aux enfers racontée sans concessions ni complaisance mais aussi œuvre à la conscience politique forte, « Visages » restera pour moi un des rare roman tunisien de langue française qui a su transcender la médiocrité intrinsèque aux manifestations du génie artistique national.

David Quinola