Pourquoi ferme-t-on l’Acropolium de Carthage ?

« Le premier musicien était un berger joueur de flûte »

Mustapha Okbi n’a évidemment jamais rien fait comme les autres. C’est sa force. C’est aussi ce qui lui a permis d’affirmer une originalité certaine. Et tout cela dans la plus parfaite discrétion. La grenade , aux graines charnues , rouges et rosées , emblème de ce festival , en fournit à cet égard un mélange agréable. Tandis que ce fruit excite la convoitise de tous , le directeur de l’Octobre musical semble voguer sur un nuage léger.

Comment lui est venue l’idée d’un tel rendez-vous annuel ? Une fois la décision prise , a-t-il eu des appréhensions ? Quelles ont été les réactions autour de lui ? Comment réunir et gérer autant d’artistes internationaux durant un mois ? Que souhaite-t-il dans l’avenir ?

Mustapha Okbi a bien voulu nous parler des raisons et de l’état d’esprit qui l’animent … Avec passion , fougue et un enthousiasme inégalables , il nous raconte cet Octobre et l’édifice qui l’abrite , s’autorisant à revenir sur certains faits en marge de sa propre narration , usant en virtuose d’envolées lyriques et ne tirant gloire de rien , soucieux que jamais on ne puisse croire qu’il cherche à faire l’important.

Une des raisons pour lesquelles l’Octobre musical se révèle à la fois un plaisir pur et un festival essentiel dans l’animation culturelle du pays. Interview.

Revenons à votre première session de l’Octobre musical , en 1994 , vous en souvenez-vous ?

— C’était l’époque des premiers balbutiements. Les travaux de restauration du monument , qui a pris le nom d’Acropolium , venaient de s’achever. C’était un des premiers espaces réalisés dans le cadre du Projet présidentiel d’aménagement du Parc national de Carthage -Sidi Bou Saïd. Dès le départ , notre objectif était d’oeuvrer dans le durable. De la même manière que l’Acropolium demeurera dans le temps un monument à vocation culturelle , notre volonté est de faire en sorte que ses activités se perpétuent et marquent l’animation culturelle de la région. Pourquoi le mois d’octobre ?Tout simplement parce que c’est la rentrée , l’envie d’offrir au public une autre forme de divertissement. La musique classique que nous proposons est le genre qui répond au mieux à l’espace. En 1994 , nous avons débuté l’Octobre musical avec 4 concerts , cette année , notre programmation en présente 21 à un public de plus en plus fidèle et attentif.

Ce constat de durée et de développement témoigne que l’Octobre musical est bien installé dans le paysage culturel de notre pays.

Qu’est-ce que ça vous fait d’être au centre de l’événement culturel le plus couru de l’automne ?

— Cet événement est parmi les grands moments culturels de l’automne , grâce aux talents des artistes , au public qu’il attire , au monument situé au coeur et au sommet de  » Carthage  » l’éternelle et , bien sûr , à tous ceux qui nous ont fait confiance , les partenaires institutionnels , le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine , le ministère du Tourisme , la Coopération internationale , ainsi que nos fidèles mécènes.

Si vous deviez définir votre engagement dans ce festival , diriez-vous que vous ne regrettez rien , que , grâce à vous , cet  » art de cour et de grands seigneurs  » s’est étendu à tous les publics ? Ou bien que vous n’imaginiez pas l’ampleur de la tâche qui vous attendait. ..

— N’oublions pas que cet art de « cour et de grands seigneurs » qu’était la musique classique prend sa source dans les plus pures traditions populaires et que le premier musicien était un berger joueur de flûte.
Par conséquent , si les « seigneur » ont encouragé et permis le développement des arts et des sciences , que Dieu les bénisse ! Sans eux , la culture et les civilisations seraient encore à l’âge des cavernes.

Quels effets cela vous fait-il d’avoir contribué à sauver de la démolition et de l’oubli l’Acropolium ( ancienne Cathédrale de Carthage ) ?

— Quoi de plus passionnant que d’avoir fait oeuvre utile. Ce monument , définitivement sauvé et acquis au bénéfice d’un grand projet de développement culturel et touristique , vient enrichir une région prestigieuse de notre pays. C’est la première entreprise culturelle associant l’État et le privé. Souhaitons que d’autres suivront.

La musique de ce siècle est à l’image des arts plastiques et littéraires : elle se définit par une variété et une richesse encore jamais atteintes sur le plan des coloris et des sonorités. La session 2005 est l’illustration parfaite d’un programme varié dans le répertoire de la grande musique. Qu’en pensez-vous ?

— Il est vrai que nous sommes dans une période où la recherche , les expériences et les courants artistiques prolifèrent et foisonnent dans tous les genres , en particulier grâce au développement technologique et au progrès de l’audiovisuel.
En tout état de cause , je suis pour ce foisonnement , il en sortira forcément quelques bonnes choses. Dans ce domaine , il faut laisser les énergies s’exprimer. C’est un devoir de santé publique.
Pour en revenir à l’Octobre musical , la programmation de cette année sera aussi variée que les années précédentes. À chaque saison , sa moisson de voix , de duos , de trios. .. , des ensembles de musique de chambre. .. Des artistes de nombreux pays interprèteront chacun à sa manière , avec son émotion , sa virtuosité , les grands compositeurs classiques , romantiques et contemporains.
Papier paru sur les colonnes de La Presse le 27 septembre 2005. Que de souvenirs ! Que de soirées couvertes dans ce lieu magique qui se prête fort bien à cette musique-là !

Maintenant , pourquoi ferme-t-on l’Acropolium ? Pourquoi cette mise sous scellé ? Pourquoi a-t-on humilié ce grand Monsieur ? Pourquoi donc cette décision du ministère de la Culture ? Des incultes en son sein ? Le ministre lui-même ? Que deviendra ce monument culturel ? Un lieu de culte pour plaire et complaire aux abrutis islamistes ?
Si sa fermeture est due aux exigences sanitaires , la violence à l’encontre de Mustapha Okbi est inadmissible. C’est le gardien du temple artistique et musical ! Préservons tous ces temples-là. Ce sont nos héritages et nos combats contre l’obscurantisme !

Mounira Aouadi

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