La démocratie algérienne vue du Ciel !

Tout est scruté du Haut. Le Ciel nous regarde ! Le Ciel nous bénit. Le Ciel nous maudit. Tout se passe d’abord là-haut, dans le Ciel. Tout se tisse là-haut, dans le ciel par le Ciel. L’Algérien marche dans la marche en regardant le Ciel. C’est le Ciel qui commande ses pas et sa langue scandant des slogans célébrant le Ciel. Tout est Ciel. Et Tout pour le Ciel. Et tout dans le Ciel. Et tout pour le retour au Ciel.

L’Algérien écoute le Ciel qui le regarde en lui disant : Béni soit le peuple qui a fait une guerre de libération exemplaire. Une guerre de sept ans, huit ans presque, couronnée par une indépendance.

Béni soit ce peuple qui a sacrifié un million et de demi de martyrs pour la justice, la démocratie, la diversité et la liberté.

Puis le Ciel regarde l’Algérien, change de ton en grognant : Maudit soit ce même peuple qui, après la cérémonie de la levée des couleurs nationales, le chant de l’hymne national, s’est retourné contre lui-même. Un servi et un serveur. Un décideur et un applicateur. Parce qu’il n’y a plus de colonisateur pour lui faire la guerre, le frère guerroie son frère. Parce qu’il n’y a plus de harki, l’ami trahit son ami. Le voisin ferme la porte au voisin.

Maudit soit ce peuple qui vite a perdu sa mémoire et ses sandales. Maudit soit ce peuple dont son indépendance se résume dans une fête annuelle. L’indépendance est une vie, toute une vie. L’indépendance, ce n’est pas “un jour” pour le passé, mais un futur pour les générations.

Maudit soit le peuple dont l’indépendance arrachée dans le sang et par le sang se transforme en un discours, langue de bois, autour de quelques bouteilles de gazouze !

L’Algérien fixe le Ciel, et le Ciel fixe l’Algérien en chuchotant : Béni soit le peuple qui en ce 5 octobre 1988 est sorti. La grande sortie. Béni soit ce peuple qui voulait écrire une nouvelle page de son Histoire. Reprendre sa mémoire, respecter ses martyrs. Béni soit ce peuple qui en ce 8 octobre 1988 a décidé de refaire son Histoire. Reconstruire son indépendance. Requérir ses langues. Son école. Sa liberté. Sa justice.

Puis le Ciel de son ciel grogne au visage de l’Algérien : Maudit soit ce peuple qui oublie ses blessures perpétrées par les soi-disant “frères”. Maudit soit le peuple qui oublie le passé d’un parti qui a brandi, un jour, son fameux slogan : “Pour une vie meilleure”. Ainsi, la banane a envahi le marché. Ce parti qui a volé son nom à notre glorieuse Histoire a “bananisé” la république. Nous ne sommes pas une Algérie bananière, mais un pays “bananisé” par les partis des bananes. Toutes sortes de bananes idéologiques, organiques et agroalimentaires !

Tout est bananisé, la politique, la démocratie, la religion, l’école, les médias, les marchés de bétail et ceux des voitures d’occasion. Nous ne sommes pas dans un pays bananier, mais tout est bananisé.

Maudit soit ce peuple qui, après une guerre de Libération de huit ans, une révolte populaire des jeunes du 5 octobre 1988, après une décennie de guerre sanglante au terrorisme islamiste, cède la rue, les villes, l’école et le Ciel à un parti religieux fasciste. Le Ciel de son ciel dit à l’Algérien : Béni soit le peuple qui, par un 22 février 2019, est sorti pour rectifier son destin. Rectifier son chemin. Essuyer son miroir. Béni soit ce peuple qui a chassé un roitelet qui a régné deux décennies sans retenue aucune. Il a déplumé le pays. Humilié le citoyen. Acheté les intellectuels. Bouclé les médias. Corrompu la corruption. Éhonté la morale collective.

Mais le Ciel depuis son altitude a grondé l’Algérien : Maudit soit le peuple, ce même peuple, qui risque une fois de plus d’offrir sa Révolution du sourire aux résidus du parti fasciste des années 1990. Maudit soit ce peuple qui réactive la machine d’un parti, qui à son tour ressuscite le système du roitelet. Le même système qui perdure depuis 1962.
Maudit soit le peuple qui n’a pas su lire sa leçon. Qui a trahi sa mémoire. Maudit soit le peuple qui retombe dans le même trou plus d’une fois.

Maudit soit le peuple qui marche dans les rues portant les noms des martyrs : Ben M’hidi, Zighoudoud Youcef, Hassiba Ben Bouali, Maurice Audin, et qui oublie le sens de ces noms gravés dans notre histoire et gravés sur ces petites plaques bleues !

Le Ciel ne fera pas la démocratie à notre place. Le Ciel ne saura jamais comment marcher sur terre, dans nos rues. Donc, laissez le Ciel à son ciel et laissez la terre pour nos pieds, nos cœurs et notre combat. Le Ciel restera dans le Ciel et nous, nous marchons pour notre démocratie sur la terre algérienne. Attention : Ceux qui croient que le Ciel fera l’Histoire à notre place, ceux qui par le passé ont appelé au djihad du niqah, ne tarderont pas à appeler au nom du Ciel au djihad du Hirak.

Amin Zaoui