Albert Memmi n’est plus

Paix à son âme, Albert Memmi, vient de nous quitter à l’âge de cent ans (1920-2020). Fils de Tunis, Il n’a jamais hésité à rappeler ses origines tunisiennes. Dans l’un de ses derniers livres, l’An I de l’indépendance, établi par les soins de notre ami Guy Dugas, on apprend même, qu’il avait demandé, en 1956, à servir le jeune État tunisien, en tant que représentant culturel à l’étranger . Hélas, l’histoire en a voulu autrement, il est parti, comme beaucoup d’autres. Son œuvre riche et diversifiée, doit être étudiée, dans nos universités et dans nos lycées. L’Etat tunisien se doit de lui rendre un vibrant hommage, son œuvre qui a démarré par sa célèbre Statue de Sel fait bien partie de notre patrimoine culturel tunisien riche et pluriel . On attend une initiative des ministères de la culture ou de l’enseignement supérieur. À bon entendeur.

Habib Kazdaghli

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Pincement au coeur!

Albert Memmi, un homme de lettre tunisien, juif de de confession natif de la Hara et grand militant contre le colonialisme et le racisme vient de s’éteindre à Paris à l’age de 100 ans.
Ce grand homme (reconnu et apprécié, entre autres, par Jean Paul Sartre et Albert Camus) a quitté la Tunisie en 1956 après avoir milité pour son indépendance. Il épousa une brillante carrière en tant qu’enseignant et chercheur (Professeur de psychiatrie sociale à l’École Pratique des Hautes Études et Attaché de recherches au CNRS). Humaniste et héritier d’une triple culture (Juive, Tunisienne et française) qui l’a fait tant souffrir, il a laissé pour les générations futures des recueils références sur le colonialisme, le judaïsme, la sociologie et la philosophie.
Il n’a jamais cru au fameux printemps arabes et a déclaré dès 2011: « Si les arabo-musulmans ne veulent pas la laïcité, et le problème n’est jamais abordé, ce ne sera pas sérieux (…) et si on ne s’attaque pas à la corruption, ce sera du bavardage », disait-il dans une interview à la télévision, se moquant de « l’espèce de délire qui s’est emparé des intellectuels et des journalistes ». Le temps lui a donné raison (jusqu’à nouvel ordre).
Il est décédé loin de la Tunisie qu’il aimait et sera surement inhumé loin de son pays natal.
C’est ce nouvel exil qui me rend triste et qui montre à quel point la religion peut séparer les hommes.
Paix à son âme!
!..AH..!
Ps: Il n a eu la nationalité française qu’en 1973, suite à l’intervention d’un homme politique français d’origine tunisienne (Edgar Pisani, Ministre et ancien directeur de l’Institut du Monde Arabe) car il a toujours été considéré comme un opposant à la France (coloniale).

Ali Gannoun

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Albert Memmi n’est plus, parti dans la nuit de Paris de ce vendredi 22 mai, une nuit de shabbat, entre celle du Destin et de l’Aïd el Fitr.

Paix à son âme !

Il est parti loin de Tunis où il était né, il y a exactement 100 ans, loin du quartier de la Hara, et de l’impasse Tronja. Loin de cette Tunisie qui l’a tant façonné et a fait éclore une œuvre unique, magnifique, puissante, complexe et parfois incomprise, tant l’arrachement à la terre natale et la marque de sa judéité y sont forts. « Un écrivain de la déchirure », comme le dit si bien Guy Dugas à qui l’on doit un travail remarquable sur l’auteur et l’édition de son journal intime, à compter de la seconde guerre mondiale.

Né en 1920, disparu en 2020, élève de Jean Amrouche au lycée Carnot, enseignant de philosophie à Tunis, Albert Memmi nous a donné de grands livres. La Statue de Sel, préfacé par Albert Camus, et Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, préfacé par Jean-Paul Sartre… mais aussi le Nomade Immobile et tant de beaux textes.

Celui qui a accompagné et soutenu avec conviction le mouvement nationaliste et l’indépendance tunisienne quittera son pays natal en 1956.

J’espérais, depuis trois ans, qu’il puisse venir rencontrer une fois encore ses amis tunisiens et nous parler de cette œuvre-vie si imposante. Lors d’une dernière correspondance, il y a quelques semaines, il avait décliné cette offre, en raison de son grand âge, mais adressait à la Tunisie de son cœur et de sa chair un salut chaleureux.

Après Leïla Menchari, il y un peu plus d’un mois, c’est un immense monstre sacré qui vient de disparaître, un passeur de ces deux rives, entre Tunis et Paris, entre nos deux pays, nos langues, nos croyances, notre Méditerranée. Avec sa disparition, c’est un continent d’Histoire et de cultures partagées qu’il nous appartient, face à l’ignorance, au repli sur soi et au refus de l’Autre, de faire vivre plus que jamais avec intensité.

Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur de France à Tunis

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Etre Juif, Tunisien et Français/Identité plurielle

Etre juif n’est pas une simple revendication plus ou moins romantique, c’est un fait, qu’il serait indigne de notre part et absurde de voiler…D’autant plus que dans nos pays d’origine, cette appartenance est beaucoup plus significative, plus large et plus complexe que celle d’une dimension simplement religieuse.

Nous appartenons à l’une des plus vieilles communautés de notre pays natal, puisque nous fûmes là, avant le christianisme et bien avant l’Islam…Nous sommes donc des juifs, mais nous sommes aussi les plus vieux Tunisiens. Nous avons adopté tous les traits culturels successifs qui ont marqué ce pays : le couscous et le burnous, la sieste et le jasmin, le goût de la mer et la peur du soleil. Ma propre mère n’a jamais parlé le français, ni aucune langue européenne. Je n’ai moi-même parlé cette langue magnifique qu’à partir de l’âge de sept ans.

Je ne dirai pas que cette intime cohabitation, jusqu’à la symbiose quelquefois, avec les Tunisiens, puniques d’abord, chrétiens ensuite, musulmans enfin, fut toujours aisée. Nous fûmes minoritaires ; dans des conditions historiques où la religion était présente dans toutes les démarches de la vie : nous n’étions pas de la religion des majoritaires.

…Nous gardons un autre genre de regret : lorsque la jeune nation tunisienne s’est affranchie de la tutelle du colonisateur, elle n’a pas su garder une élite juive de premier ordre et dont certains avaient parié de toute leur âme pour leur intégration dans cette jeune nation. Quoi qu’il en soit, il est vrai que la plupart d’entre nous ont choisi de suivre les Français dans la métropole et de s’y refaire une situation, devenue enviable quelquefois. Nous sommes donc devenus des Français d’adoption et l’on doit pas nous reprocher notre fidélité à un pays qui nous a adoptés, nous a offert, presque sans discussion, de partager l’opulence de sa culture , les bienfaits de la démocratie et de la justice économique.

C’est simple : nous avons mal à notre mémoire, nous souffrons d’un défaut de reconnaissance. Il suffit d’un séjour dans la Tunisie moderne pour constater que nous sommes exclus de son Histoire. Le temps use tout, c’est vrai les absents ont toujours tort. Nous ne sommes pas musulmans, c’est vrai, et la Tunisie s’est constituée en nation musulmane…Ce pays musulman et arabe dans sa très grande majorité est aussi notre pays natal. Je l’ai beaucoup écrit : on ne peut acquérir une patrie d’adoption, la France pour nous, lui être loyal et même y être heureux, on a pourtant jamais fini avec son pays natal…Nous souhaitons réintégrer la mémoire collective de la Tunisie, que notre place, historique, économique et culturelle, y soit définitivement reconnue et assurée.

Albert Memmi, « Juif, Tunisien et Français », in Confluences Méditerranée, N° 10 Printemps 1994, pp. 84-85.