À lire « Lella Kmar ». Le destin tourmenté d’une nymphe du sérail (1862-1942), de Nizar Ben Saad

Il est bien connu que « L’histoire éclaire le présent ». Le roman historique que vient de publier l’universitaire Nizar Ben Saad Lella Kmar ( édition KA’édition ) . Le destin tourmenté d’une nymphe du sérail (1862-1942) éclaire suffisamment l’histoire de la dynastie husseinite depuis le XVIIIe siècle, faite des mutineries, des assassinats, des luttes acharnées pour le pouvoir.

Qu’est ce qui fait qu’une simple odalisque circassienne qui n’a pas eu de descendance, se révèle aujourd’hui à la postérité en épousant successivement trois beys de la dynastie husseinite ? Comment une jeune femme abandonnée par les siens, démunie, réussit à changer de vie, pour devenir une souveraine adulée de toutes parts ?
De là est venue, selon l’auteur, l’idée d’entreprendre une biographie romanesque sur cet être d’exception que fut lella Kmar : un véritable personnage de roman qui mérite sans doute d’être mieux connu. Tout dans le personnage de la jeune circassienne la prédisposait à devenir une « Beya », puissante, une impératrice majestueuse.

Un personnage de roman

Fruit d’un contexte historique particulier, Lella Kmar est sans doute un personnage de roman. La dimension que revêt le personnage de cette odalisque circassienne interpelle plus d’un titre : la crainte qu’elle inspire et paradoxalement l’attrait qu’elle exerce est caractéristique de l’archétype de la femme fatale. Et aux yeux de l’auteur, Lella Kmar est une femme fatale : pour preuve : n’a-t-elle pas épousé trois beys régnants de la dynastie husseinite (Sadok, Ali III, Naceur) .
D’une plume alerte, et avec un grand luxe de détails, souvent inédits, Nizar Ben Saad nous introduit dans les arcanes mystérieux des rivalités entre les hauts dignitaires de la dynastie husseinite. En effet, au XIXe siècle, la Régence de Tunis, alors vassale de l’Empire ottoman, est passée sous Protectorat français à partir de 1881. Au moment où Lella Kmar arrive, avec sa sœur aînée Zoubeida, d’abord dans le harem d’Istanbul à l’âge de 8 ans, et à Tunis, à l’âge de 14 ans, la Régence de Tunis se trouve en proie à une situation économique décadente
Ce n’est sans doute pas à cause de sa beauté ni de sa coquetterie que la princesse circassienne a conquis le cœur de trois beys husseinites : bien des femmes belles et coquettes n’ont pas réussi à marquer l’Histoire. A lire cette biographie romanesque, nous avons l’intime conviction que Lella Kmar avait ce plus, ce zeste de génie inégalé, fait d’intelligence, de lucidité, de subtilité ; une femme incisive, à l’intelligence vive, inféodée à personne, si ce n’est à sa bonne conscience
Tout d’abord, reconnaissant-le, Kmar avait bien su tirer profit de son séjour dans le harem ottoman, jusqu’à l’âge de 14 ans, où elle avait beaucoup appris sur les mœurs de la Cour. De même qu’elle avait bien profité des conseils éclairés de la grande Kmar, son éducatrice bien-aimée, pendant le règne de Sadok Bey. La période de ALI III a été, à bien des égards, déterminante dans la formation de Kmar, notamment en matière des relations internationales. Enfin, sa relation avec la princesse Nazli, qui lui a été présenté par Naceur Bey alors son amant avant qu’il ne devienne son royal époux, a été pour le moins édifiante sur la condition féminine, les combats qui doivent être menés pour que la vie ait un sens.

Modernité de Lella Kmar

La mort de Ali III a de nouveau libéré KMAR qui est épousée par Naceur Bey. C’est sous le règne de ce dernier qu’apparaît son talent de femme de pouvoir qui intervient dans les affaires politiques.
Avec Naceur Bey, c’est d’abord une histoire d’amour. Le couple connaîtra la fulgurance de la passion, mais aussi sa brûlure, en témoigne l’affaire de l’adultère.

Une figure moderniste

Après des siècles de mépris, de morgue à l’égard de la femme, Beya KMAR a joué un rôle non négligeable sur les plans des libertés. Elle fut une militante féministe avant-l’heure
Plus fondamentalement, avec son engagement au service de la cause féminine et nationaliste, d’abord avec son royal époux Naceur, en témoigne l’affaire d’abdication de 1922, et notamment avec Moncef bey, son fils adoptif, s’est opérée la transition entre la Tradition et la Modernité.
Lella Kmar avait servi le modernisme en Tunisie tout en restant fidèle à ses traditions ataviques. Elle a veillé, avec beaucoup de soin, à conserver le mode de vie turc, sur le plan vestimentaire et culinaire.
C’est donc un ouvrage de témoignage et d’hommage à la mémoire de cette odalisque d’exception que fut Lella Kmar ; une personnalité attachante ; une femme sans préjugés, souveraine et tourmentée, d’où l’intitulé d’une nymphe de sérail tourmenté

Elle est arrivée à Tunis au bon moment pour donner un sacré coup d’accélérateur à l’histoire et participer à sa façon à la Modernité tunisienne.
Le livre, bien écrit, se lit d’une traite : l’auteur a bien pris soin d’éviter le style abscons des ouvrages académiques. Une biographie romanesque à lire, sans plus tarder…

La rédaction