Comment je vois une sortie de crise ?

C’est long, je sais, prenez patience. Je développe une idée que j’avais exprimée sur fb le 2 août passé ( lire ci-bas ) et à midi show le 10 août.

I. Admettons que l’origine du péril imminent soit le Parlement tel qu’issu des élections de 2019 et je l’admets personnellement. Admettons également que le Gouvernement participe à ce péril et participe de ce péril s’étant mis au service inconditionnel de la nouvelle troïka et je l’admets personnellement.

Cela autorise et cela légitime une interprétation au forceps de l’article 80 de la Constitution, interprétation que l’on peut fonder sur l’idée que la raison d’être de cet article est l’existence d’un péril imminent et que les mesures exceptionnelles sont conçues pour faire face à ce péril, qu’elles sont au service de la lutte contre ce péril, en d’autres termes, que la fin (écarter le péril imminent) justifie les moyens (la suspension des compétences et des activités de l’ARP, la levée de l’immunité parlementaire et la démission du gouvernement).

Reste le reste, tout le reste

II. Si nous convenons que le chef de l’Etat a le pouvoir d’apprécier l’existence et la cause du péril imminent, qu’il a en conséquence, toute latitude pour décider des mesures exceptionnelles pour y faire face, nous devons aussi convenir que ces mesures ont un but clairement énoncé par le second paragraphe de l’article 80 : « Ces mesures doivent avoir pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. » Elles n’ont pas pour but de « réorganiser les pouvoir publics » ni, a fortiori, de modifier la Constitution et encore moins de la suspendre. C’est, du reste, un paradoxe, au sens que la logique donne à ce mot, que d’utiliser l’article 80 de la Constitution pour sortir de la Constitution alors qu’il est conçu pour y revenir.

Si donc le chef de l’Etat décide de réviser la Constitution, Il ne peut en aucun cas se fonder sur l’article 80. Il doit respecter les procédures et les conditions prévues par le Chapitre 8 de celle-ci, chapitre opportunément intitulé « De la révision de la Constitution » (articles 143 et 144), or il ne peut pas les respecter puisqu’ils supposent que l’ARP fonctionne, que la Cour constitutionnelle existe et que la révision a été approuvée par une loi constitutionnelle. Par contre, s’il décide de réviser la Constitution et notamment le régime politique, en dehors des règles prévues par la Constitution, il sera tout simplement sorti du cadre constitutionnel, il aura procédé à ce que le Statut de l’Union africaine appelle un « changement anticonstitutionnel de Gouvernement » (un euphémisme conçu pour ne pas dire coup d’Etat), mais dans ce cas pourquoi les demi-mesures : Tant qu’on y est pourquoi ne pas changer de Constitution tout simplement ?

III. Rester dans le cadre de la Constitution suppose un bricolage et des acrobaties, j’en conviens, mais un bricolage et des acrobaties pour réintégrer le cadre constitutionnel valent mieux qu’un bricolage et des acrobaties imaginés pour en sortir. Cela suppose aussi que le président de la République doit prendre patience en ce qui concerne la modification du régime politique tunisien.

Le bricolage consiste en ce qui suit :

1. Déclarer la fin de l’état d’exception. Il s’en suit conformément au dernier paragraphe de l’article 80 que : « Ces mesures (les mesures exceptionnelles adoptées) prennent fin dès la cessation de leurs motifs ». Ces mesures étant : la suspension des activités de l’ARP et de l’immunité de ses membres et le limogeage du chef du gouvernement.

2. Le lendemain et ce qui suit peut se faire en un jour si le président de la République s’y prépare :

– Obtenir la démission de Mechichi (articles 98 de la Constitution).

– Charger une autre personne de constituer un Gouvernement (conformément aux articles 98 et 89 de la Constitution).

– Obtenir sa proposition.

– La transmettre au Parlement.

3. Faire en sorte que l’ARP refuse la confiance (Il aura certainement les voix de 109 députés, le PDL s’y est déjà engagé).

4. Dissoudre l’ARP et appeler à des législatives anticipées.

5. Légiférer par décrets-lois (art 70) jusqu’aux résultats définitifs des législatives et l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement.

6. Parallèlement, des listes soutenues par le président feront campagne législative avec pour programme politique celui du président, intégrant notamment un projet révision de la Constitution dans le sens désiré par le président de la République.

Le peuple alors décidera, vraiment. S’il lui accorde la majorité nécessaire à la révision de la Constitution (2/3 des membres), il fera ce qu’il voudra en pleine légalité et en toute légitimité, je ne serai pas d’accord, mais je me plierai à la loi de la démocratie.

Professeur Slim Laghmani

*******

1. Ennahdha, comme parti de masse, a vécu :
Seul Kais Saied pouvait et peut écarter RG, ses adeptes, ses sbires et ses clients sans provoquer la colère et la violence du carré dur de l’islamisme tunisien. Pourquoi ? Parce que KS a neutralisé le discours idéologique, « frériste » du parti Ennahdha et l’a privé du seul argument qui peut mobiliser les bases nahdhaouis et autres intégristes : ce sont des koffars des ‘almaniyyin ! Ennahdha en a été réduite à prendre argument de la « démocratie » et des « droits de l’homme » ce qui ne convainc ni ses adeptes ni ses sympathisants, encore moins les autres.
2. Cela n’a rien à voir :
Mon avis
Au 31e jour :
Présenter le Gouvernement pour qu’il n’obtienne pas la confiance 🙂 ; à cette fin, demander à tous les députés qui adhèrent au mouvement de voter CONTRE la confiance (ne pas compter sur les voix « contre » de la majorité) (art 89) ;
– S’il y a vote contre la confiance, ou s’il n’y a pas de vote du fait d’une obstruction de la part de la coalition actuellement majoritaire, dissoudre le Parlement (art 89 paragraphe 4) ;
– Le même gouvernement poursuivra jusqu’aux résultats des prochaines élections législatives anticipées et à l’installation des députés ;
– Et le P de la R pourra légiférer par décrets-lois jusqu’aux résultats des élections législatives anticipées (art 70 paragraphe 1er).
Cela permettrait de ré-intégrer (totalement) le cadre de la Constitution, de tranquilliser les organisations de la société civile à l’intérieur, les Etats et les organisations intergouvernementales à l’extérieur tout en poursuivant le mouvement de restauration de l’Etat et de l’autorité de son Droit.
C’est ce que j’ai dit comme juriste invité par l’UGTT les 26 et 28 juillet passés.
Il va de soi qu’une telle démarche suppose que la configuration de la prochaine assemblée sera différente de l’actuelle ce qui n’est possible que si le président œuvre à ce que, à l’échelle nationale, un réseau de listes indépendantes défendant son projet sont mises sur pied.