Déprimant

Les chiffres de l’INS (Institut National de la Statistique) viennent de tomber. Ils sont franchement déprimants. En glissement annuel la Tunisie a enregistré une croissance négative de -3% au terme du premier trimestre 2021. Ceci veut dire que sur une période de 12 mois, du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 la croissance économique a été négative de -3%. Comparée au dernier trimestre de 2020 la croissance économique enregistrée au cours du premier trimestre 2021 a été quasiment nulle (0,1%)%. L’économie tunisienne s’est donc contractée de 3% en une année . Il faut rappeler à ce propos que la Tunisie avait enregistré un taux de croissance négatif de -8,8% en 2020. L’économie n’arrive donc pas à rattraper la récession connue en 2020, et reste en territoire négatif pour le cinquième trimestre consécutif. Ces performances négatives se sont aussi traduites par des pertes de dizaines de milliers d’entreprises, surtout des PME, et de dizaines de milliers d’emplois.

Au terme du premier trimestre 2021 le taux de chômage a grimpé encore pour se situer à 17,8%, comparé à 17,4% à fin décembre 2020. À fin mars 2021 la Tunisie compte donc 743.000 chômeurs. Parmi les jeunes de 15 à 24 ans le taux de chômage enregistré à fin mars 2021est de 40,8%, soit 40,4% pour les hommes et 41,6% pour les femmes. Une véritable bombe à retardement. Du point de vue de l’emploi des jeunes, au moins, la révolution tunisienne a été jusqu’ici un échec cuisant.

Certains vont mettre tout ce bilan négatif sur le compte de la pandémie du Covid-19. S’il est vrai que la pandémie y est pour quelque chose, je demeure convaincu que ces mauvaises performances sont surtout le résultat d’une mauvaise gestion de la crise née de la pandémie. En effet suite à la décision du confinement général les entreprises, toutes catégories confondues, se sont trouvées en face d’une situation d’une exceptionnelle gravité. En effet les revenus des entreprises ont subitement disparu totalement ou partiellement alors que leurs charges étaient toujours là, y compris les salaires. À ce moment précis il fallait préserver les entreprises et les emplois en injectant les liquidités nécessaires sous formes de crédits, d’avances, de reports d’échéances, ou autres. C’est ce que tous les pays occidentaux, Allemagne comprise, ont fait. Plusieurs pays émergents ou en développement ont aussi compris que c’était ce qu’il fallait faire afin de préserver leurs chances de reprise économique forte après la pandémie. Ces pays ont ainsi pu épargner leurs entreprises et leurs emplois. Ces mêmes pays enregistrent depuis le troisième trimestre de 2020 des taux de croissance économique très élevés, parfois même à deux chiffres pour certains.

Malheureusement la Tunisie on ne peut pas s’attendre à une forte reprise économique de sitôt. En effet ayant perdu une partie de son outil de production (entreprises et emplois) la Tunisie va devoir commencer par tenter de reconstruire son économie avant de pouvoir enregistrer des performances correctes. Les choix faits par la Tunisie suite à la pandémie, et même avant, notamment en matière de politique monétaire ont été clairement inappropriés. En effet si la banque centrale peut être indépendante, la politique monétaire ne peut pas être indépendante de ce qui se passe au niveau de l’économie. Le rôle principal d’une banque centrale est de garantir la stabilité des prix, et donc de lutter contre l’inflation. Mais cette lutte contre l’inflation n’est jamais une fin en soi. Le rôle de la politique monétaire est aussi de garantir une croissance économique soutenable, sans heurts, donc sans dérapages au niveau de l’inflation. La lutte contre l’inflation n’est d’aucun intérêt si l’économie enregistre de mauvaises performances, ou va jusqu’à s’effondrer. Pendant la pandémie il fallait donc injecter des liquidités en quantités suffisantes afin de maintenir nos entreprises en vie et de préserver nos emplois. Ceci est d’autant plus vrai qu’il était démontré que le risque d’une hausse du taux d’inflation était très faible, sinon inexistant.

Il faut signaler aussi que les mauvaises performances enregistrées suite aux mauvais choix de politique monétaire ont été aussi à l’origine d’un gonflement de la dette publique, extérieure notamment, qui est probablement devenue non soutenable déjà.

Il faudrait s’atteler maintenant à rattraper ce qui peut être rattrapé. Il faudrait engager le pays de toute urgence dans une vaste opération de sauvetage de son économie et de ses finances. Il faudrait tout faire pour éviter de voir la Tunisie entrainée vers le tourbillon du rééchelonnement de sa dette extérieure. Ce tourbillon finirait en effet par toucher à la dignité de la Tunisie et à sa souveraineté.

Ezzeddine Saïdane