Le Mali, le Liban et la Tunisie : l’avenir des États faillis…

En 2006, J’avais eu l’honneur de conduire une partie de la mission d’évaluation de la gouvernance du Mali. C’est ainsi que j’avais rencontré le Président de l’époque (Amoudou Toumani Touré), le premier ministre (Modibo Sidibé), l’essentiel des membres du gouvernement en charge des questions économiques et financières, des parlementaires, des représentants du corps diplomatique et de la coopération multilatérale, les syndicats, des représentants de la société civile, les banquiers, les patronats, etc. à Part Bamako (la capitale), j »avais également pu visiter et rencontrer l’essentiel de la société civile et des décideurs de Mopti, Gao, Tombouctou, Kidal, etc (le Centre et le grand Nord du Mali). Un travail de près d’un mois mené par toute une équipe d’experts, et de professeurs africains de grande envergure… A l’époque, le Mali était une démocratie (Eh oui!). La principale problématique sécuritaire concernait les touaregs, l’économie du Mali se portait relativement bien même si la grande question concernait la disponibilité du capital humain et le fameux (et non moins fumeux) « environnement des affaires »… mais au fond de moi-même, mon sentiment (que je ne pouvais écrire de façon explicite) était que ce pays dépendait d’un miracle. Un pays trop grand et trop riche pour un État jeune, sous-dimensionné et affaibli par une décentralisation mal organisée et une démocratie dévorée par les partis (la corruption était présente mais elle m’a semblé moins grave que dans d’autres pays)….
Pour l’ensemble des pays de cette région (que je connais assez bien), pour l’Afrique subsaharienne et pour l’Afrique du Nord, l’Europe (notamment la France et l’Italie) ne peuvent assister passivement à la faillite de ces États (à laquelle ils ont nettement contribué)… le dilemme est que pour cette Europe riche et qui ne pourra pas accueillir le milliard de francophones qui seront en face, les pays doivent être suffisamment développés pour ne pas sombrer dans le chaos, mais pas trop puissants pour ne pas renverser les termes de l’échange… un dilemme que vient compliquer les évolutions démographiques, climatiques, technologiques et politiques de ces pays (et de cette région)…
Il me semble que le discours tout aussi « amical » que musclé et interventionniste de Macron au Liban (que certains ont qualifié de néo-colonialiste), n’est que le prélude d’un changement de stratégie face à un monde qui bouge rapidement et qui impose à la France (et à l’Europe, si celle-ci veut résister aussi bien à la Chine qu’aux sirènes du populisme et du risque d’éclatement) d’être beaucoup moins respectueuse de la souveraineté de pays dont les États sont faillis ou en déliquescence…
Ce qui se joue en Tunisie ce n’est donc pas seulement l’avenir de notre démocratie, mais notre indépendance… la ministre des affaires étrangères et celui de l’intérieur de l’Italie, ne l’ont probablement pas dit en ces termes….mais j’espère que nos politiciens l’ont compris…
L’évolution de l’Afrique subsaharienne et celle de l’Afrique du Nord (aujourd’hui la Libye et la Tunisie, demain, l’Algérie et probablement le Maroc), conduira les pays du nord à choisir entre deux options : soit essayer de gérer les « flux » et accepter que l’Afrique subsaharienne et celle du nord viennent se déverser en Europe; soit décider que l’Europe ira se réinstaller d’une façon ou d’une autre en Afrique (plus rapidement que la Chine) en étant beaucoup moins soucieuse de sauver les apparences…mon sentiment au Mali était que la « nature à horreur du vide »… et jusqu’à nouvel ordre (mondial), les États souverains ont horreur des États faillis… donc pour le décideur européen/français « moyen » ( et ils le sont de plus en plus) la question se pose en ces termes : « soit la jeunesse de ces États faillis vient s’installer chez nous, soit nous irons nous réinstaller chez eux »… seul un miracle (celui d’hommes et de femmes politiques à la hauteur de ces défis) nous sortira de ce dilemme..

Karim Ben Kahla