Deux ans après son arrivée au pouvoir, Giorgia Meloni, leader du parti post-fasciste Frattelli d’Italia, a imposé en Italie une politique migratoire extrêmement stricte. L’accord avec l’Albanie, dernière mesure en date, est la concrétisation d’un projet dénoncé par beaucoup comme dangereux pour les droits des ONG et des migrants mais est parfois érigé comme un modèle pour certains de ses partenaires européens.
« C’est une nouvelle route que nous traçons, courageuse et inédite. » C’est avec ces mots que la Première ministre italienne Giorgia Meloni s’est félicitée du premier transfert de migrants dans les centres en Albanie où Rome va, pour une durée de cinq ans, traiter les demandes d’asile des hommes seuls. Même si le projet italien a viré au fiasco après une décision de la justice italienne ordonnant le rapatriement des migrants – que le gouvernement compte bien contourner avec un décret pris le lundi 21 octobre en soirée – le débat a été lancé dans l’Union européenne sur l’externalisation des demandeurs d’asile.
Et l’Italie est devenue – pour certains – un exemple à suivre en matière de politique migratoire. Le leader travailliste anglais Keir Starmer ou la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, se sont effectivement montrés intéressés par la démarche italienne. « Avec la montée des extrêmes et populistes, Meloni a trouvé un contexte fertile en Europe pour pousser son agenda, même s’il est problématique du point de vue des principes fondamentaux de l’Union européenne. Elle a pu profiter du contexte électoral européen pour trouver des alliés », analyse pour RFI Sara Prestianni, directrice de plaidoyer migration à l’EuroMed Droits.
Une consécration pour la dirigeante du parti post-faciste qui a décrété l’état d’urgence migratoire après sa nomination et n’a cessé depuis deux ans de mener une politique toujours plus ferme à l’encontre des exilés. Avec le décret Cutro – du nom de la ville de Calabre où un terrible naufrage a fait près de 90 morts -, elle a signé un tour de vis important instaurant quotas, restriction des permis de séjours spéciaux, facilitation des expulsions et augmentation de la durée de rétention…
Criminalisation des ONG
La Première ministre italienne s’est aussi attaquée aux ONG qui opèrent en mer avec le décret Piantedosi. Signé en 2022, il oblige les navires des ONG à se rendre dans un port assigné par les autorités italiennes après chaque sauvetage. Ce décret a eu des conséquences dramatiques, selon les ONG. Rien qu’en 2023, Rome a procédé à 23 arrestations de navires de sauvetage. « Cela revient à 540 jours de paralysie pendant lesquels les navires des ONG n’ont pas pu secourir [de migrants] sur l’une des routes les plus meurtrières au monde », selon Médecins sans frontières (MSF). Selon un rapport de l’ONG SOS Humanity, qui dénonce régulièrement l’éloignement des ports désignés par l’État italien, les organisations humanitaires ont perdu l’équivalent de plus d’une année de temps en mer avec cette loi.
« De façon générale, on peut résumer la politique de Meloni par la continuité de la logique d’externalisation, de la criminalisation de la solidarité et des migrants », relate Sara Prestianni. Récemment, l’exécutif italien a même réformé la vente de carte SIM pour empêcher les migrants en situation irrégulière de s’en procurer, les privant ainsi d’un outil de communication précieux pour contacter leur famille ou poursuivre leur route en Europe.
Politique étrangère
Et comme ses homologues européens ou prédécesseurs, Giorgia Meloni a usé du levier diplomatique pour mettre en place une politique d’externalisation des frontières. Ainsi, c’est elle qui a signé en avril dernier un accord avec la Tunisie de Kaïs Saïed pour réduire les départs de migrants depuis les côtes tunisiennes. Un accord vivement critiqué depuis par les acteurs humanitaires, mais aussi le Parlement européen, à cause des mauvais traitements subis par les migrants en Tunisie, notamment depuis le discours haineux prononcé par le président en début d’année. Aujourd’hui, des centaines de migrants vivent dans des conditions insalubres dans le désert tunisien, fuyant agressions et rackets.
De tels accords « ne sont pas dans l’intérêt de la politique étrangère des États car si on prend l’exemple de la Tunisie, la relation n’est pas focalisée sur l’intérêt d’avoir un voisin stable avec un état de droit, mais dans l’intérêt que le régime en place soit légitimé au nom du fait qu’il arrête les migrants. Et on ferme les yeux sur les persécutions », juge l’experte qui dénonce un accord « problématique du point de vue des principes fondamentaux de l’Union européenne, du respect des droits fondamentaux et du droit des migrants ».
« Une gestion court-termiste »
En tout cas, la Première ministre se vante aujourd’hui du franc succès de sa politique, mettant en avant les chiffres de l’immigration qui ont baissé de 65% par rapport à l’année dernière. Selon le ministère de l’Intérieur italien, 55 000 personnes sont arrivées entre le 1er janvier et le 18 octobre 2024, contre 140 000 par rapport à la même période l’année dernière. Un chiffre a tempéré, selon Mme Prestianni, car l’année 2023 a été marquée par des départs massifs des côtes tunisiennes suite aux propos anti-migrants du président tunisien et la crise économique qui empire. « Si l’on compare à 2022, on voit très bien que la baisse est beaucoup moins forte », estime-t-elle. Il y a deux ans, 76 000 personnes avaient rejoint les côtes italiennes entre janvier et octobre. « À chaque nouvel accord, il y a une chute, puis les traversées finissent par reprendre car on ne sait pas jusqu’à quand Kaïs Saïed aura intérêt à empêcher les traversées », ajoute-t-elle.
« Il s’agit d’une gestion court-termiste. On ferme des routes mais le problème est loin d’être résolu. Les conflits, les crises climatiques ou économiques qui poussent les personnes à quitter leurs pays empirent donc ce n’est pas cette politique qui va les dissuader, ajoute l’experte, elles vont simplement se diriger vers une autre route ». Comme celle des Canaries qui a vu sa fréquentation exploser ces derniers mois ? « L’histoire nous a montré que lorsque l’on ferme une route, une autre s’ouvre ».
Source : RFI