Tunisie : Chaîne de valeurs et Tourisme

Fadhel Abdelkafi, ancien Ministre de l’Investissement et de la Coopération Internationale déclarait, un jour, non sans perspicacité et intelligence:
« Il faut améliorer la « CHAINE DE VALEURS » dans tous les secteurs.« 

Il a donné comme exemple l’huile d’olive tunisienne qui est encore exportée en vrac et souffre d’un manque de conditionnement et de transformation lui permettant de toucher des marchés plus diversifiés et plus rémunérateurs .
Sa vision est juste et peut concerner tous les secteurs y compris le tourisme.
En effet, en matière de tourisme, et malgré une soixantaine d’années « d’expériences », nous continuons à proposer de la simple hôtellerie et nos atouts climatiques en vrac.
D’où la commercialisation avec une compétitivité excluant la qualité et les pratiques de bradages antiéconomiques.
Tout discours officieux et officiel vantant la diversité et la richesse de l’offre touristiques tunisienne reste creux et démagogique:
En voici des preuves :
– L’écotourisme souffre d’un environnement naturel et humain dégradé et de projets structurants ne répondant à aucune norme internationale.
– Le tourisme culturel, malgré le nombre de sites et de monuments, ne repose que sur une offre « brute » n’ayant fait l’objet d’aucune mise en valeur favorisant sa compréhension et sa visite. Une ressource brute ne peut être considérée comme un produit pouvant être mis sur le marché. D’où la désaffection totale des intermédiaires de vacances ( TO, agents de voyages, instances prescriptrices …) pour ce genre de produits.
– Le tourisme saharien qui s’est banalisé en s’enlisant dans les sables mouvants de la dépendance balnéaire
– Le tourisme de bien-être et de santé est disputé entre deux ministères et souffre d’une normalisation chaotique ainsi que d’une absence totale de stratégie spécifique. Certes, la Tunisie se vante d’être la deuxième destination au monde en matière de thalassothérapie mais ce classement ne veut rien dire car en terme de recettes et de qualité, nous devons être en queue de peloton. Je défie quiconque qui me convaincrait du contraire.
– Le tourisme golfique repose sur des parcours peu nombreux et mal entretenus. Le golf en Tunisie est proposé beaucoup plus comme une activité d’animation pour remplir des lits que comme une réponse à une motivation aux exigences évidentes. Allez voir l’état de nos parcours et en particulier celui de Tozeur et vous comprendrez mieux mes propos.
– Le tourisme de congrès souffre de l’absence d’un véritable Complexe de Congrès capable de jouer un rôle de locomotive en terme d’image, d’attirer les congrès de facture internationale ( cf Marrakesch) et de servir d’espace pour des événements d’animation de portée internationale
– Le tourisme de shopping : qu’il soit national ou international, il ne peut rivaliser avec aucune destination méditerranéenne ou internationale. Nos galeries commerciales sont d’une banalité peu commune, nos soi-disant Malls sont de simples galeries commerciales, et notre artisanat manque de créativité et de valeur esthétique.
– Le tourisme d’animation : espaces publics peu propices à la flânerie en toute sécurité, festivals aux programmes publiés à peine une semaine avant leur démarrage ( d’où l’impossibilité de les promouvoir en tant que prétextes touristiques), très peu de casinos et de salles de jeux, absence de vie nocturne, pas de parcs de loisirs, pas de circuits de courses automobiles…etc
– Absence de restaurants « étoilés » délivrant des spécialités nationales et internationales de haut-de-gamme
– Absence de vision pour développer un tourisme alternatif reposant sur la mise en valeur des ressources naturelles et culturelles et la création de micro-projets d’hébergement alternatif gérés par de jeunes diplômés en mal d’emplois ( maisons d’hôte, gîtes ruraux , hôtels de charmes, logement chez l’habitant, tables d’hôtes, campings…)
– Tourisme religieux et cultuel : absence de promotion et de proposition de circuits ayant pour thème : la Tunisie païenne, la Tunisie paléo-chrétienne et chrétienne, la Tunisie judaïque, la Tunisie musulmane…etc
– Tourisme maghrébin : absence de circuits intégrant les patrimoines exclusifs ou commun de Tunisie, d’Algérie et du Maroc pour commencer. Ces circuits s’adresseraient essentiellement à des clientèles cultivées d’Amérique du Nord, du Japon, de Chine, du Sud-Est Asiatique, d’Australie et d’ailleurs.
Il s’agit là de pistes de diversification et d’enrichissement de l’offre touristique tunisienne qui se fondent sur de réelles potentialités et de ressources et qui ne demandent qu’une volonté politique réelle et une vision stratégique claire et durablement assumée.
Sans une réelle prise de conscience des vrais problèmes, tout discours qui repose seulement sur le rattrapage quantitatif des performances passées ne peut qu’enfoncer notre tourisme dans les abysses de la médiocrité et du bradage et renvoyer aux calendes grecques les  » CHAINES DE VALEURS » dont il a tant et tant besoin.
Quant à l’Open Sky qu’on a tendance à présenter comme la solution aux problèmes de notre tourisme, il ne représente qu’un moyen pour accéder à la destination et non un remède pour ses déficiences.

Wahid Ibrahim