Borhène Bsaïes / Ridha Lénine …le débat de trop

Le 11 décembre 2019, Borhèn Bsaïes a invité Ridha Chiheb Mekki dit Ridha Lénine à Ettasia TV pour débattre de son projet relatif à la démocratie participative visant à changer radicalement le système actuel fondé sur la démocratie parlementaire ou représentative.
Or, connaissant bien Ridha Mekki pour avoir été avec lui dans le mouvement des Patriotes Démocrates à la Faculté de Droit de 1977 à 1981 et ayant été au fait de son alignement sur celui des conseillistes vers l’année 1982 et des débats idéologiques qu’il a alimenté, il m’a semblé que Borhan Bsaïes a raté son émission. Il n’a pas eu le sens de la maïeutique pour pousser son invité à révéler ses sources d’inspiration réelles que Ridha lui-même ne tient pas à divulguer publiquement, ainsi que la manière avec laquelle il compte changer le système, surtout que la constitution actuelle ne se prête pas à un changement radical du système.
Contrairement à ce que Borhan Bsaïes a cru, ce n’est pas l’expérience de la révolution culturelle de Mao Tsé Tong qui a inspiré Ridha Mekki, mais ce sont la Commune de Paris de 1871, le mouvement des soviets en Russie d’avant la Révolution d’Octobre 1917, et le mouvement des conseillistes qui a eu pour origine la révolte de Kronstadt en 1921.
En cette date, les marins, soldats et ouvriers de Kronstadt, y compris de nombreux communistes déçus par la direction du gouvernement bolchevique, revendiquent la réhabilitation de la démocratie ouvrière et paysanne confisquée par le parti communiste exigeant « Tout le  pouvoir aux soviets et non aux partis ». Isolée du continent, cette révolte spontanée débute le premier mars 1921 et est écrasée militairement deux semaines plus tard, par l’armée rouge dirigée par Léon Trotski.
Avant la révolution de 1917, les opposants au Tzar se sont organisés en des structures autonomes du pouvoir à tous les niveaux, usines, paysanneries, armée, villes et villages. Ces structures étaient appelées des soviets, fondées sur l’élection de leurs représentants, ayant le pouvoir de décision et d’exécution. D’où le slogan « ECHAAB YOURID » du tandem Ridha et Kaïes Saïd . Les soviets décidaient de l’expropriation des grands propriétaires terriens et de la distribution des terres entre les paysans, la prise des usines et des administrations locales et régionales. Un pouvoir parallèle s’est installé à celui du Tzar. Ils ont installé un climat insurrectionnel qui a abouti à la révolution bolchévique de 1917.
L’expérience des soviets a eu son prolongement dans la Commune de Paris de 1871 qui repose sur le principe de l’élection de représentants du peuple à l’instance communale et de la révocabilité des élus. La commune est investie du pouvoir législatif et exécutif s’érigeant en un pouvoir parallèle au gouvernement, issu de l’Assemblée nationale qui vient d’être élue. C’est en fait une organisation ouvrière pour la ville, et un gouvernement prolétarien. Dans plusieurs autres villes de France (Marseille, Lyon, Saint-Étienne, Toulouse, Narbonne, Grenoble, Limoges) des communes sont proclamées à partir du 3 mars 1871, mais elles furent toutes rapidement réprimées.
L’expérience de la commune de Paris et des soviets ont été à la base de l’émergence du mouvement des conseillistes qui estime que les conseils ouvriers doivent s’organiser en pouvoir insurrectionnel et diriger la société. Les conseils ouvriers sont une forme de démocratie directe basée sur les élections au sein d’assemblées représentatives qui délibèrent, décident et exécutent.
Pour les conseillistes, les réformes mises en place par Lénine dans le cadre du centralisme démocratique sous la direction du parti communiste inversent ainsi le sens du pouvoir au sein des soviets : plutôt que de structures politiques servant à répondre aux demandes du peuple, les soviets sont stratégiquement instrumentalisés par les bolchéviques pour devenir une « courroie de transmission » au service du parti Etat. Ainsi, le système des soviets s’est-il muté en un système politique bureaucratique, centralisé, autocratique et coercitif, où le parti confisque le pouvoir au détriment de l’auto-organisation ouvrière. Pour les conseillistes, Lénine, et les bolchéviques avec lui, n’ont pas laissé la chance aux soviets de déployer leur plein potentiel démocratique. Ainsi, les conseillistes reprochent-ils aux léninistes d’être porteurs d’un « communisme de parti ». Et au-delà de la forme-conseil, la démocratie directe constitue bien une marque décisive du conseillisme.
Ce sont là les fondements idéologiques de la vision de Ridha Mekki autour desquelles il a voulu en vain unifier la gauche Tunisienne depuis le début des années quatre vingt et qu’il continue à avancer en privé. Sa critique de la défaillance du régime parlementaire actuel, n’est que diversion.
Après 2011, Ridha est revenu à la charge et le voilà défendre une sorte de démocratie directe ou de proximité dite la « gouvernance participative. » Celle-ci se basera essentiellement sur des conseils de proximité ou de quartier, locales et régionales élues, ayant pouvoir législatif et exécutif et reposant sur le principe électif et celui de la révocabilité, dans la même logique communarde et conseilliste. Des institutions capables, selon lui, de répondre aux demandes expresses (à court terme) et capables de planifier et de construire un projet de développement sociétal (à moyen terme). Il s’agit de faire table rase du système actuel organisé autour de la démocratie parlementaire ou représentative qui a usurpé la volonté populaire pour le remplacer par un système où le peuple serait réellement souverain. Ce projet est une déconstruction pour une reconstruction du système du bas vers le haut où l’essentiel du pouvoir reviendrait aux comités de quartiers, aux instances locales, régionales, et où les jeunes et les laissés pour compte en seraient l’ossature et le fer de lance. Les conseils locaux selon Riha Mekki auraient même le pouvoir d’édicter les impôts et de les prélever.
Ridha Mekki, prévoit que les habitants d’un quartier élisent leurs représentants au comité de quartier. Ces derniers élisent leurs délégués aux comités locaux au niveau de la ville. Les membres de ces comités désignent leurs représentants au comité régional, qui de leur part élisent leurs représentants aux comités de districts qui décident de leur représentativité à l’Assemblée Nationale.
Or Ridha Mekki, a toujours omis de dire que le système de tout le pouvoir au soviet a engendré anarchie, crise économique et famine, d’où la Nouvelle Politique Economique (N.E.P.) et de la centralisation du pouvoir décidées par Vladimir Lénine. La commune de Paris a aussi instauré l’anarchie à tous les niveaux et une guerre civile qui s’est terminée dans un bain de sang. La révolution culturelle en Chine a plongé ce pays dans le chaos économique et la folie populiste et la famine. Quand au mouvement des conseillistes, il n’a pu à ce jour élaboré un système accompli de la gouvernance participative demeurant dans des polémiques théoriques et des débats stériles.
C’est pourquoi, à Ettasia TV, il était tout à fait naturel que Ridha Mekki soit resté flou, confus et incohérent sur la question des attributions de chaque instance de son système miracle, des articulations entre les divers conseils et la relation des instances de base avec celles qui leur sont supérieures, ainsi que des modalités de la révocabilité. Il est resté sur des généralités noyées dans le verbiage des charlatans qui cherchent à cacher leur supercherie. Il était incapable de citer un seul pays au monde organisé selon son schéma alchimique. L’exemple de la Suisse qu’il a cité n’entre ni dans le modèle des conseillistes qui est conceptualisé pour une démocratie populaire, ni dans son propre modèle appelé à consacrer la revanche de ce qu’il appelle les laissés pour compte et les démunis sur les autres franges de la société, ou la revanche de la campagne sur la ville, ou des régions dites défavorisées sur les régions côtières.
N’ayant pas en poche un modèle élaboré et accompli du système qu’il préconise pour le pays, Ridha Mekki est en train de vendre du vent. Le danger c’est que ce vent est un vent dévastateur qui nous prépare à l’apocalypse hilalienne et à l’anarchie communarde. Le changement radical du système actuel, ne pouvant s’opérer par les mécanismes constitutionnels, Ridha Mekki préparerait à une insurrection de gueux et de la horde du lumpenprolétariat, qui s’érigeront en un pouvoir parallèle avant de supplanter le pouvoir en place. A la révolution prolétarienne, dirigée par l’avant-garde du prolétariat, Ridha Mekki nous propose la révolution des sans culottes sans avant-garde dirigeante.
Que Ridha Mekki délire, cela peut être tolérable dans le cadre de son droit constitutionnel d’expression et d’opinion. Cela peut aussi, être logique pour un mégalomane à la conquête d’un vedettariat perdu depuis trente ans. Mais que ses délires d’anarchiste soient partagés par un Président qui a prêté serment pour respecter la constitution et se poser en garant de la sécurité nationale, cela nous laisse inquiets sur l’avenir de ce pays. La Tunisie, le peuple tunisien, ne supportent plus une nouvelle aventure qui les mènerait au milieu du triangle des Bermudes.
Dans le débat Borhèn Bsaïes/Ridha Mekki, ce dernier était évasif et fuyant et Borhan Bsaïes, dépassé.

Mounir Chebil 

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