Quand la situation l’exige

Taoufik Baccar

Il y a des moments où un responsable doit décider et agir vite en dépit de quelques incertitudes et (ou ) des risques (financiers ,juridiques ou sécuritaires …) en particulier lorsqu’il est convaincu qu’un retard dans la décision peut avoir des graves conséquences sur le pays .Evidemment il doit prendre quelques précautions mais parfois le contexte l’oblige à s’en remettre également à sa conscience et ses convictions .

A ce propos je garde encore en mémoire la décision que le gouvernement de la BCT a du prendre dans l’urgence au moment de la crise financière internationale de 2007/2008 et en particulier au moment de la faillite de Lehmon Brodhers qui a annoncé l’enclenchement de cette crise .Il fallait agir vite afin de mettre à l’abris les réserves en devises du pays dont une partie était alors placée ,pour des considérations de rendement ,auprès de banques privées qui pouvaient être touchées par la crise .Pendant toute une journée ,une équipe de la BCT encadrée de très près par le gouvernement de la BCT a procédé au replacement d’une grande partie de ces réserves et a du pour cela faire des arbitrages concernant les institutions financières où il fallait placer ces réserves ,le choix avait alors porté sur les banques ayant une notation au moins de AA + , ainsi que la nature des instruments de placement les plus sûrs à utiliser ( Bons de Trésor Américain ou bonds allemands) .
La Tunisie risquait de connaitre des pertes colossales au niveau de ses réserves en devises qui atteignaient alors 13 millards de dinars soit 6840 millards d’euros ,un niveau légèrement supérieur à celui d’aujourd’hui (6780 millards d’euros ) malgré un niveau d’endettement extérieur beaucoup plus faible .
Nous l’avons fait sans demander l’autorisation ,ni l’avis de quiconque en faisant confiance au professionnalisme de l’équipe de la Banque centrale et en nous remettant à notre conscience car cela ne pouvait attendre .

Que dire alors lorsqu’il s’agit de la santé de la population.

Je comprend donc la quasi injonction faite par le chef du gouvernement à ses ministres afin de tout faire pour rendre disponible dans les plus brefs délais un volume minimum de bavettes avant la date du 4 Mai quitte à recourir au gré à gré .

Je suis également de son avis que cette tendance à crier tout le temps au «fassad » un terme flou est responsable pour une large part des déboires économiques de ce pays depuis 2011 avec ce que cela a entraîné comme blocage des initiatives et de la prise de décisions dans l’Administration et de réticences des hommes d’affaires à investir. Ce terme bateau utilisé aujourd’hui de façon large et confuse mérite d’être précisé afin d’éviter l’éparpillement des efforts et rendre la stratégie de lutte contre ce fléau plus efficace .A cet égard je considère personnellement que les erreurs de gestion macro-économique du pays notamment au niveau des politiques budgétaires ,monétaires et de change ainsi que les politiques publiques désadaptées empruntées depuis 2011 ont beaucoup plus pesé dans la détérioration de la situation économique et financière du pays que les dossiers ponctuels que recouvre ce terme vague et populiste d’El Fassad ,des dossiers qui n’ont pour objectif que d’enflammer les réseaux sociaux et qui servent pour certains davantage de fonds de commerce .

Ainsi à titre d’exemple la politique de recrutement sauvage menée les premières années après 2011 sont en grande partie à l’origine des déboires budgétaires du pays avec un budget qui est passé de 27,5% du PIB en 2010 à 35% aujourd’hui .La politique de change menée et la dépréciation du dinar ont eu quant à elles pour conséquences d’abord une augmentation du taux de la dette publique de plus de 15 points entre 2010 et 2019 ( soit 12 millards de dinars environ )et en second lieu une augmentation du niveau de l’inflation estimée à titre d’exemple pour 2018 à deux points .Ces politiques publiques et d’autres malgré leurs conséquences néfastes n’ont fait l’objet d’aucune investigation alors que le principe de la redevabilité est devenu partout dans le monde un principe essentiel de la gestion des affaires publiques .

Taoufik Baccar , ancien ministre des finances et ancien Gouverneur de la BCT