Kaïs Saïed dit : Je n’ai pas de fille à marier

Ilyes Fakhfalkh, le Chef de Gouvernement qui, tout juste avait-il occupé son fauteuil, qu’il a été contraint de démissionner après avoir été sali, roulé dans la farine puis jeté dans la poêle. Même s’il était avéré qu’il était un saint prophète, il aurait, quand même, été crucifié. Azraël en a décidé ainsi*.
Conformément à la constitution, c’est au Président de la République de désigner un chef de gouvernement pour former un nouveau cabinet ministériel. Les partis politiques ont cru comprendre que le Président de la République Kaïs Saïed avait une fille à marier. Chacun d’eux s’est mis à lui présenter un prétendant après avoir pris le temps de l’astiquer. Les médias, en bonnes entremetteuses patentées, ont pris le relais pour vanter les qualités de tel ou tel concurrent. Prétendants et entremetteuses attendaient d’être reçus à Carthage pour des concertations, garnies de fleurs, et autour d’un capucin ou d’un thé et des délicieuses pâtisseries tunisiennes. Seulement, Kaïs Saïed s’est refusé à dilapider les deniers publics en gâteries et a fait économiser aux éconduits les dépenses nécessaires à une visite au Président, c’est-à-dire : le prix du cirage pour leurs chaussures, du gel pour leurs cheveux et du déodorant pour cacher leur puanteur.
Kaïs Saïed n’est pas dupe pour ne pas se rendre compte du manège de ces chasseurs de dots dont, les origines parlementaires feraient craindre le pire. C’était, aussi, sans considérer la répugnance endémique de Kaïs Saïed à l’égard des partis politiques en place au Bardo. Pourtant, pendant une année il les a ménagés, mais en vain. Leur cirque était, chaque jour plus chaotique, et leur « cacaphonie » à l’intérieur de l’hémicycle parlementaire, plus scandaleuse. Après avoir maintenu le suspens pendant tout le délai constitutionnel de dix jours à partir de la démission de Fakhfakh, le Président de la République sort de son silence pour marteler à qui veut l’entendre : « Je n’ai pas de fille à marier, j’ai l’intérêt de l’Etat à défendre. »
Pour le Président de la République, l’intérêt de l’Etat n’est ni dans les partis de la place, ni dans le parlement. Pendant dix ans, il n’ont fait que le bafouer. Ainsi, le choix du Président de la République a-t-il été porté sur une personnalité qui n’a pas fricoté avec les partis. C’est une personnalité indépendante, issue de l’Etat profond, c’est-à-dire de son administration, puis du sommet de l’Etat. C’est le Georges Pompidou tunisien.
Le ministre de l’intérieur Hichem Méchichi est désigné pour former le gouvernement dans un délai de trente jours tout en continuant à assumer ses fonctions. Un message du Président que la sécurité, la stabilité du pays sont les priorités du moment. Mais aussi, le moment est à l’intégrité totale, puisque le passé de Mechichi ne souffre d’aucune suspicion de malversation. Il est clair que pour le Président, l’anarchie et la corruption sont les freins les plus handicapants à tout projet de sortie de crise et de progrès.
Ce message est perceptible aussi dans la conduite du Chef de gouvernement désigné. Ses premiers entretiens étaient avec l’UTICA, des financiers comme Taoufik Bacar et Ahmad Karam. La relance de l’économie et son financement sont une priorité. La sécurité il en fait son affaire avec l’institution militaire et l’institution sécuritaire. Tout porte à croire, d’après les bribes distillées au compte goutte, que Méchichi est focalisé sur la formation d’un gouvernement restreint composés de compétences sans coloration partisane, un gouvernement pour tous les Tunisiens.
Contrairement aux pratiques précédentes, et par dérogation à la constitution, la nomination de tous les ministres serait faite en concertation et avec l’accord du Président, en premier. Même si le Chef de gouvernement désigné consultait les chefs des groupes parlementaires, ce qu’il a commencé à faire, se serait plus pour trouver un consensus autour de son équipe et de son programme que pour subir leur diktat. Ainsi la seule allégeance des ministres retenus serait-elle plus envers le Chef du gouvernement et par conséquent envers le Président de la République. Le vote de confiance par les députés serait sur le programme et non sur la personne des ministres.
L’intérêt de ce gouvernement qui ne serait pas issu des entrailles dégoûtantes des partis, c’est que l’administration centrale et régionale gagnerait, en toute logique, en neutralité. Les hauts postes seraient attribués plus en fonction de la compétence et de la probité que sur des considérations partisanes.
En ayant bien étudié la constitution du régime parlementaire tunisien, Kaïs Saïed a compris que cette dernière contient bien de failles par où le Président de la République peut se faufiler pour laisser le jardin du palais aux jardiniers et forcer la porte de la remise pour se saisir du gouvernail. Car, à la Tunisie au bord de l’effondrement, il faut une clef de voûte. Cette clef de voûte, c’est le Président de la République.
La balkanisation de l’Assemblée des représentants du peuple, le mouchoir de poche dans lequel la secte islamiste Ennahdha se meut, le pouvoir de dissolution de cette Assemblée que Kaïs Sayed tient comme l’épée de Damoclès sont autant de conditions favorables aux mains du Président de la République pour booster Hichem Méchichi et lui faire réussir le bac, lui et ses ministres.
Toutefois, qu’elle que soit la valeur des hommes de Mechichi et la justesse de leurs programmes pour la relance économique ainsi que pour l’ajustement des équilibres sociaux, leur tâche n’est pas de tout repos tant le passif grevant l’héritage qui les attend est abyssal, et tant le terrain politique est miné. Neuf ans de règne des Banou Hilal, ont semé la désolation et achevé un pouvoir ziride devenu l’ombre de lui-même. Par ailleurs, les attentes, dopées pendant neuf ans à coup de populisme, de démagogie et de manipulation partisane, risqueraient d’être attisées pour ne pas laisser du répit au nouveau gouvernement en vue d’entretenir un chaos récurrent qui ouvrirait les portes de Carthage au vassal du Calife ottoman.
Or, la dynamisation de l’économie et les réformes structurelles qu’elle demande exigent un climat social serein. Il faut laisser le temps à la richesse se créer et prospérer. Car, comme dit par l’économiste paysan, Mounir Chébil « il faut laisser la laine pousser avant de tondre le mouton. » Seulement, il faut craindre que les partis politiques, ne renouent avec la politique de la terre brûlée comme ce fut le cas du temps de Habib Essid qui a passé dix huit mois à éteindre les incendies, sans pouvoir s’atteler aux dossiers vitaux pour le pays, tout comme Ali Ibn Abi Taleb qui a passé son règne à combattre les insurrections pour finir assassiné par les kharijites, et ce sont les kharijites des temps modernes qui ont lynché H. Essid et les bokbok se sont joints à eux. Là, l’armée et les forces de sécurités doivent regagner leurs droits envers et contre tous, car l’anarchie ne peut continuer à menacer la sécurité nationale prise dans son sens le plus large. Il ne doit plus y avoir de soldat ou d’agent de sécurité qui fuit devant un voyous. Les défenseurs des « gentilles brebis pacifistes », mues par des « demandes légitimes » et respectueuses de la loi bien que munies de cocktail Molotov et d’armes blanches, doivent changer le fusil d’épaule. Les zazous des droits de l’homme doivent impérativement se mettre à l’école des devoirs envers la société et la patrie.
Si Kaïs Saïed réussissait à peser de tout son poids pour imposer son George Pompidou à l’ARP, encore lui faudrait-il, en soutien à son gouvernement, recourir à la pratique de la magistrature d’influence inaugurée au Portugal par le Président de la République Mario Soares. Cela signifie que le Président, en dehors de dispositions constitutionnelles claires, peut jouer de rôle de médiateur entre les organes du pouvoir, entre les partis politiques, entre le gouvernement et l’opposition, ce que si Béji Kaïed Essebsi a tenté de faire. En soutien au gouvernement, Il lui faudrait aussi reconstituer le Conseil économique et social et impliquer les organisations nationales, UGTT, UTICA, UNFT , UNAT… au cotés du gouvernement dans l’effort national pour sortir de la crise. Dans ce scénario, l’autorité de l’Etat ne doit souffrir d’aucune faille. Faute de quoi l’arche de Noé, ne trouvera même d’endroit où accoster. La légitimité populaire du Président de la République l’habilite à maintenir en permanence le contact direct avec le peuple pour l’entretenir de la chose publique ainsi que de l’intérêt national et pour couper l’herbe sous les pieds de tous ceux qui veulent porter atteinte à l’intégrité de la patrie et à souveraineté ainsi qu’à son droit au progrès. En ces temps graves, le préjugé favorable doit être consenti au projet présidentiel. Méchchi ne doit subir ni le sort de Habib Essid ni celui de Ilyes Fakhfakh.
Seulement, le Président de la République doit se mettre à l’évidence que la situation actuelle ne supporte pas les soubresauts d’un changement radical du système politique. Sauvons l’Etat, débarrassons le de la toile d’araignée tissée par les mafieux et les frères musulmans, et parlons de ce changement par la suite. Chaque chose à son temps. Le peuple attend du pain dans l’immédiat, et non un article de constitution dont la gestation peut être longue et périlleuse. D’ailleurs, on ne change pas une société avec une constitution, et il n’y a pas de constitutionnaliste qui puisse faire le même travail qu’un horloger suisse qui fabrique une montre.

Mounir Chebil