Hommage à un militant de toujours : Ahmed Ben Salah rejoint le panthéon de l’histoire

Ahmed Ben Salah n’est plus. Sa disparition marque la fin d’une époque, celle des Grands Tunisiens, des patriotes qui ont œuvré inlassablement pour construire la Tunisie de l’après-protectorat qu’ils voulaient prospère, juste et respectée dans le monde entier. Désormais Ahmed Ben Salah, comme Bourguiba, Habib Achour et bien d’autres, appartient à l’histoire qui saura sereinement et objectivement juger son œuvre. Elle saura lui rendre justice.

Il n’est pas de mon propos de revenir sur le parcours exceptionnel d’un homme exceptionnel. Syndicaliste, compagnon de Hached, secrétaire général de l’UGTT au plus fort de la lutte anticolonialiste, militant du néo-destour, il a été de tous les combats depuis sa jeunesse. Ses rapports avec le président Bourguiba sont passés par des phases tumultueuses, après 1956 notamment en raison d’une divergence de points de vue sur les choix économiques et sociaux. Cependant après avoir pris acte pris acte de l’échec de la politique libérale des années ayant suivi l’indépendance, le chef de l’Etat décide de lui confier le ministère de l’économie et des finances pour mettre en œuvre une nouvelle politique basée sur une approche socialiste.

Baptisée à tort de « politique des coopératives » par bon nombre de profanes, la politique des années 1960 dont Ben Salah a été l’inspirateur et, dans une large mesure l’exécutant, était un tout. Inspirée du programme économique et social de l’UGTT de 1956, elle s’est caractérisée par un ensemble de réformes dont le but ultime était de sortir la Tunisie du sous-développement, les coopératives ne représentaient qu’un aspect. Elle a été tracée et exécutée en plusieurs étapes par le biais de la planification ( les plans biennal, triennal et quadriennal), et cautionnée à plusieurs reprises par les plus hautes autorités de l’Etat et par le parti socialiste destourien pendant et après le congrès de 1964. Les réalisations en matière d’équipement, d’habitat, d’éducation, de culture, d’industrie, de tourisme, sont l’œuvre de l’équipe gouvernementale qui a présidé aux destinées de la Tunisie à cette époque, sous la direction d’Ahmed Ben Salah, avec l’appui maintes fois réitéré du président Bourguiba. Plusieurs réalisations sont à mettre à son actif, en particulier l’effort immense déployé en matière d’enseignement et de santé, malgré les moyens modestes dont disposait le pays dans les années 1960, malgré quatre années de sécheresse, malgré le cours du phosphate au plus bas. Ahmed Ben Salah débordait de dynamisme : il tenait plusieurs réunions par jour à des endroits fort éloignés les uns des autres. Il avait pris soin de mettre un coussin sur la banquette arrière de sa voiture pour profiter de quelques minutes de sommeil avant de repartir pour d’autres réunions. Il avait tout donné pour recueillir plus tard, les procès politiques, et un long et amer exil. Cette politique a permis aux Tunisiens de ma génération d’avoir accès au savoir, à la culture et à occuper des emplois qui leur ont permis d’avoir dans la société une place en rapport avec leurs capacités et leur niveau.

Un demi siècle nous sépare de cette période, mais une partie de l’opinion reste malgré tout obnubilée par des difficultés réelles que la Tunisie a vécues au cours des 6 premiers mois de l’année 1969, lors de la généralisation des coopératives agricoles (janvier-septembre 1969) ; elle continue de véhiculer des informations dont beaucoup sont exagérées, erronées ou tendancieuses et persiste à faire porter la responsabilité à Ahmed Ben Salah seul , comme si Ben Salah avait été à la fois ministre, président de la République, gouverneur, ou délégué. Il est temps que justice soit rendu à cette personnalité qui vient de nous quitter et qui a marqué de son empreinte l’histoire de notre pays.

Noureddine Ali