Dalenda Larguèche interpelle Abir Moussi

L’affirmation d’un leadership féminin représenté par Abir Moussi ne me laisse pas indifférente. Cette émergence remarquable ne peut être détachée de la longue marche de l’émancipation de la femme tunisienne depuis la révolution sociétale enclenchée par le Code du Statut Personnel, aujourd’hui incrusté dans l’être social tunisien.

Les succès politiques et médiatiques du PDL et de son leader Abir Moussi sont incontestables.

En l’espace de quelques mois, nous avons vu ses scores grimper dans les sondages, plafonner et même doubler ceux de ses adversaires, notamment ceux d’Ennahdha qui dégringolent de jour en jour après avoir plombé la scène politique.
Une stratégie faite de luttes frontales, de terrain en terrain, un discours particulièrement clivé, farouchement accusateur, défendant l’Etat-National et ses acquis modernistes… et finalement, la « symphonie », quelles que soient ses formes, accroche et mobilise dans plus d’un milieu, y compris parmi les intellectuels et les franges libérales, habituellement sceptiques et frileuses,.

Rares, sont ceux aujourd’hui, en dehors de ses adversaires déclarés, qui la réduisent à une simple incarnation de l’ancien régime. Des intellectuels, des figures du monde de la culture sont même séduits, le dernier en date Raja Farhat, vient d’affirmer ouvertement qu’elle est la digne héritière du bourguibisme des lumières.
Mais un chef politique qui se projette dans l’avenir proche et qui ambitionne de jouer des rôles de premier plan se doit aussi de clarifier, d’expliquer et de rassurer, non seulement ses propres partisanes et partisans, mais bien au delà, tous les milieux, toutes sensibilités confondues.

Femmes, égalité, qu’en pensez-vous?

Une question interpelle particulièrement les femmes et principalement, celles qui ont milité depuis des décennies pour la concrétisation de l’égalité entre les hommes et les femmes. Les articles 21 et 46 de la Constitution, consacrant les principes d’égalité et de la parité, ont été durement négociés et rudement arrachés aux résistances des islamo-conservateurs régnant à la Constituante.

Beaucoup ont apprécié la dernière initiative du groupe parlementaire du PDL demandant à l’ARP d’adopter le principe de la parité dans la composition de la Cour Constitutionnelle. Mais cela devrait être le point de départ d’une clarification programmatique approfondie sur ces questions clés. Une interaction continue avec les femmes qui ont porté haut la revendication de l’égalité et de la parité et développé arguments à l’appui les raisons objectives qui font que la société tunisienne est mûre pour une telle avancée en conformité avec le texte et l’esprit de la Constitution et les valeurs universelles d’égalité auxquelles nous adhérons, est nécessaire.

Liberté et droits, ou Etat hégémonique

Dans son dernier discours à Sfax, Abir Moussi n’a pas manqué de rappeler aussi que son parti respectera vigoureusement les libertés fondamentales dans le cadre de l’Etat de droit qu’elle promet de restaurer.
Oui, la démocratie a besoin de femmes et de libertés. Mais les libertés ne peuvent se suffire à des déclarations solennelles, ni à des énonciations de principe. La foi en la liberté se décline en débat ouvert avec tous les corps intermédiaires de la société, en une praxis de la liberté qui n’attend point le jour de la victoire pour s’épanouir.

Mme Abir Moussi, vous avez lancé un appel national : Celui de la Révolution des Lumières (Thawrat Ettanwir) et des dizaines de milliers de citoyennes et citoyens l’ont signé par conviction. C’est autour de chaque point et de chaque principe énoncé dans ce manifeste que le débat devrait se dérouler de manière organisée et ordonnée pour permettre à chacun d’avancer en sachant quels sont ses droits et ses devoirs. Nous voulons tous un Etat de droit qui protège les libertés et les droits citoyens, mais non d’un Etat qui écrase la société au nom du droit.

La société a survécu au paternalisme « étouffant » ; elle n’est pas prête à le remplacer par un maternalisme « protecteur » ; elle veut tout simplement s’émanciper et apprendre a se défendre ; elle est adulte et citoyenne.

L’économie est trop importante pour la laisser entre les seules mains des experts

Vous avez également évoqué à maintes reprises le programme économique et social du PDL, élaboré par le concours de dizaines d’experts, et je vous crois. Mais là aussi, autant la rigueur des experts est nécessaire, autant elle est insuffisante. La jeunesse instruite, la société civile, y compris celle féminine, devrait participer à l’élaboration de ses programmes d’avenir. Une nouvelle économie, celle sociale et solidaire est vivement demandée par les classes laborieuses, les artisans, les agriculteurs, les petits commerçants.

Les femmes ne s’émancipent durablement que par l’affirmation de leur autonomie économique parallèlement à leur libération sociale.

Certes, nous ne rêvons plus de l’Etat-providence des années 1960, mais nous revendiquons l’Etat social qui réponde aux besoins du développement équitable et qui redonne le goût de la planification et de l’effort à toute la société.

Vous avez annoncé votre adhésion totale à la révolution du numérique et c’est grâce à elle que votre parole défie toute censure et atteint chaque foyer. Usez de cette technologie pour débattre avec les Tunisiens et les Tunisiennes de leurs attentes et de leur avenir.

Un débat national continu sur tous les aspects de notre existence et de nos angoisses s’impose dans l’immédiat. Ouvrez les tribunes pour interagir entre vous, vos lieutenants avec tous.

Les meetings sont utiles et nécessaires, mais la proximité physique gagne à être relayée par une proximité élargie : celle qu’offre la révolution numérique. L’espace virtuel est devenu un condensé élargi de l’espace public.

L’avenir sera à vous si vous le balisez avec tous, parce qu’il s’agit de notre avenir commun.

Pour sauver la Tunisie des dangers menaçants, un projet national et alternatif se construit sur une base de convergence entre des forces nationales plurielles et multiples.

Dalenda Larguèche
Historienne
Démocrate Féministe