Coma politique artificiel

Je ne puis me faire à l’idée qu’un homme hissé à la magistrature suprême soit à ce point inconscient et négligent de ses devoirs les plus élémentaires qu’il ne se rendît pas compte, en une année et demie, à la faveur de quelques intervalles de lucidité, du danger auquel son apathie expose le pays menacé de toutes parts dont il a la charge et que lui-même s’évertue à décrire dans les termes les plus alarmants, souvent à grand renfort d’intrigues, de complots, de poison et de toutes sortes de calembredaines.

Bénissons le ciel que les histoires de mules d’Iraq et de je ne sais quoi encore de la même veine l’aient détourné de la lecture d’Edgar Poe, sinon il nous aurait tous rendus fous. Il doit y avoir une explication à cette situation si particulière à la Tunisie qu’en physique en désigne par équilibre instable et qui, poussée à ses limites théoriques, est illustrée dans le domaine biologique par l’exemple de l’âne de Buridan qui, ayant autant faim que soif et placé à égale distance, dans deux directions opposées, d’un tas de foin et d’un seau d’eau, meurt de faim et de soif.

Il est donc invraisemblable que n’ait été ressenti à un moment ou à un autre le besoin d’agir, de faire bouger quelque chose dans la réalité concrète pour donner suite à une seule promesse parmi tant d’autres et sortir, s’évader de cette image d’impuissance qui commençait à trop coller au personnage au point d’en devenir étouffante telle un carcan psychique, par ailleurs inassimilable à une cause de paralysie politique. Le peu que nous sachions de lui et qui a largement suffi à nous édifier, nous le tenons de ses discours et propos publics radiotélévisés qui ont été certainement préparés, donc entourés de quelques précautions d’usage. Ceci nous laisse dès lors imaginer ce qu’il doit en être dans le cours des discussions, débats à huis clos et des ordres précis qu’il a certainement donnés pour nous rassurer dans nos espoirs ou nous démentir dans nos craintes. Comment se fait-il que tous les maux aient été dénoncés, que tous les remèdes aient été promis par le chef de l’Etat et que nous soyons restés sur notre faim ?

Ce qui s’est passé cette nuit du 10 courant, avenue Khereddine Pacha dans l’indifférence de Carthage ne s’effacera pas de la mémoire des tunisiens. Rendons nous à l’évidence, des décisions ont certainement été prises et des ordres donnés mais n’ont heureusement pas été suivis parce que farfelus et Dieu sait de quelles conséquences porteurs. L’idée de destitution pour incapacité grave est dans tous les esprits et le titulaire du perchoir du Bardo est à l’affût. Le dilemme qui la fait pourtant éviter débouche sur une position de l’Etat en tous points comparable à un coma artificiel en ce sens qu’il est abandonné par son chef, lui même maintenu à sa place sans être obéi jusqu’à on ne sait quoi.

Abdessalem Larif