El Kamour, ou la déliquescence de l’Etat.

Au premier trimestre 2017, à Tataouine, des bras cassés, des fainéants qui refusent les travaux dits pénibles, des mulets de transports pour le compte des barons de la contrebande, des voyous et des bandits payés pour enflammer la rue, ont été manipulés pour engager un mouvement insurrectionnel sur fond de revendications sociales ayant pour centre d’action, la station de pompage de pétrole d’El Kamour de la région de Tataouine. Ce conglomérat du lumpenprolétariat a désigné de son sein, un comité de coordination pour radicaliser le « combat » et mener les négociations.

Ce mouvement revendicatif d’apparence, a pris de l’envergure. Des crédules croyant à la justesse du mouvement l’ont suivi, grossissant ainsi le peloton des suiveurs. Des manifestations, blocages des routes, grèves, heurts avec la police… ont enflammé la situation à Tataouine. Les insurgés réclamaient l’emploi des jeunes et le développement de la région en voulant récupérer 20% des revenus du gisement d’El Kamour à cet effet. Les agitations ont pris de l’ampleur avec l’organisation d’un sit-in houleux devant la station de pompage puis son occupation. Les insurgés ont fini par fermer la vanne, arrêtant ainsi le pompage du pétrole pour des semaines. En ces temps, la clique du parti du Conseil pour la République, des dirigeants du mouvement « Achaab », ainsi que les islamistes de la région et les barons de la mafia locale, menaient la danse de derrière les rideaux.

Or, ce mouvement insurrectionnel n’est que l’aboutissement d’un crime dont les origines remontent aux toutes premières années du bouleversement survenu le 14 janvier 2011. Dans un élan populiste sans pareil, tous les courants politiques qui ont émergé sur la scène et qui se sont unis pour pour semer le chaos dans le pays, ainsi que des médias en quête d’audience et de chiffres d’affaires, ont fait ressurgir les réflexes régionalistes et claniques qu’on croyait à jamais révolus. En quête de popularité au rabais, ils ont recouru à une propagande populiste de bas de gamme, autour des régions soi-disant laissées pour compte et qui devraient avoir la priorité dans toutes politiques de développement. Le plus grave, c’est qu’ils ont soutenu que chaque région devrait disposer de ses propres richesses naturelles, et que l’Etat ne devrait plus intervenir dans les affaires régionales, suscitant des convoitises des plus controversées et des plus nuisibles à l’unité de l’Etat et du pays .

La réponse immédiate à cette campagne, était le bordel à ciel ouvert dans le bassin minier à Gafsa 
Le mouvement d’El Kamour était également une extension de la campagne « Winou el bitroul » « winou el guez, « winou el melh », « winou el fosfat », « winou el maa »…, menée par tous les partis politiques sans exception engageant des agitations sociales et politiques récurrentes dans le seul but de destituer le gouvernement de Habib Essid qui a fini par tomber sous la pression de cette campagne en août 2016, après seize mois seulement de son investiture.

Cette campagne régionaliste était le fondement des agitations sociales qui ont débuté en avril 2016 aux îles Kerkennah et qui ont pris en otage la société Petrofac qui exploitait le gaz sur cette île. Elles étaient menées par des repris de justice, des délinquants soutenus par des éléments du Front populaire, des salafistes et des syndicalistes tout en bénéficiant du silence complice de tous les autres courants politiques sans exception et de l’appui de certains médias . Enfin, un accord a été signé dans la précipitation par le gouvernement Chahed le vendredi 23 septembre 2016 avec ce ramassis de voyous dont, les exigences ont été satisfaites, et la production du gaz a repris après des mois d’interruption. C’était le fâcheux précédent de la démission de l’Etat devant la loi des clochards.

Ainsi, tous les signaux ont-t-ils été lancés pour attiser des frondes régionalistes qui couvaient et qui ont trouvé à Tataouine un terrain de prédilection. Kharijites, contrebandiers, voyous de tous acabits, mercenaires, des déçus du système ainsi que des partis politiques et des députés véreux et sans scrupules, étaient tous volontaires pour semer le désordre et défier l’Etat dans cette région.

Un simple regard sur la logistique déployée lors du sit-in d’el Kamour de 2017 et celui de 2020, et l’ampleur des manifestations dans les rues de Tataouine qui n’ont pas eu leur pareil du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, démontre que les agitateurs étaient généreusement financés d’une manière directe ou indirecte par les barons de la contrebande, et des parties étrangères qui ont des convoitises en Tunisie dont la Turquie et le Qatar. Certains ont soutenu que :« Ce mouvement est une machination fomentée de l’intérieur du pays et vise à affaiblir l’Etat et surtout son système sécuritaire dans le but de permettre le positionnement des groupes terroristes en préparation à des attaques d’ampleur ». Mais il y a aussi la volonté des barons de la contre bande de faire du Sud tunisien leur chasse gardée pour agir en toute impunité d’une part et les voyous du comité de coordination du Kamour qui aspirent s’installer en cartel mafieux contrôlant les affaires locales, d’autre part. .

L’Etat était pris en otage par des voyous et des mercenaires. De grands périls économiques et sécuritaires hantaient. Youssef Chahed, le chef de gouvernement de l’époque n’étant jamais monté sur un ring et occupé par le lancement de son parti , a laissé son ministre, le frère musulman de la secte d’Ennahdha Imed Hammami, , signer un accord sur le trottoir poussiéreux d’une rue de Tataouine avec un vieux illettré, père d’un agitateur mort lors d’un accident de la route. L’accord signé en juin 2017 prévoyait un financement de 80 millions de dinars annuels pour la caisse de développement de Tataouine, le recrutement de 1500 personnes par les sociétés pétrolières et de 3000 ouvriers par la Société Tunisienne pour l’Environnement. Depuis l’antiquité, aucun Etat au monde ne s’est avili de la sorte.

En ces années 2016 et 2017, tous les partis politiques sans exception, toute la société civile étaient soit impliqués dans ce crime contre l’Etat ou complices par un silence des lâches.

L’accord n’ayant pas été suivi d’exécution, les agitations ont repris de plus belle en 2020. Après des manifestations, le harcèlement des forces de l’ordre, le sit-in du kamour qui a débuté le 17 juillet 2020 et la fermeture des vannes du champ pétrolier durant plus de quatre mois causant des pertes à la communauté nationale s’élevant à 375 millions de dinars, le chef du gouvernement actuel, Hichem Méchichi a déroulé le tapis rouge sous les pieds crasseux des voyous du comité de coordination du Kamour, les invitant courtoisement, de bien vouloir négocier. Ce comité s’est arrogé le droit absolu de mener les négociations en imposant ses propres conditions au gouvernement, l’obligeant à satisfaire ses revendications changeants de nature au jour le jour. Lors de l’accord du Kamour, c’est l’autorité d’une bande de voyous qui s’est autoproclamée représentante des habitants de Tataouine ayant le pouvoir de parler en leurs noms, a supplanté les autorités politiques et administratives qu’elles soient centrales ou régionales et même les partis politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition. Tous ceux qui accompagnaient ce comité dans les négociations, députés véreux, avocats en quête de notoriété, représentants de la société civile insipides, n’étaient que d’obscurs figurants, invités pour meubler la scène, alors que les représentants de l’Etat dans les négociations, étaient sans pantalons. Le gouvernement a succombé à l’arrogance des voyous aux casquettes mises à l’envers et à leur chantage abject. Méchchi a entériné l’accord conclu par le gouvernement Chahed, avec des bonus. Tous deux ont signé la déliquescence de l’Etat.

Maintenant que l’accord avec le comité des bandits du Kamour est conclu, ce dernier va automatiquement devenir maître de son application puisque les termes de sa mise en place n’ont pas été définis. L’Etat devenu impuissant, c’est ce comité qui va décider, des recrutements, des projets à réaliser et des bénéficiaires des crédits, contre des commissions conséquentes à l’instar de toutes les bandes mafieuses qui se respectent, tout en bénéficiant des meilleures faveurs qu’ils pourraient tirer en priorité et à titre personnel de cet accord. Les sociétés pétrolières le chargerait éventuellement de constituer des milices pour sécuriser les champs pétrolifères et gaziers, étant donné l’incapacité manifeste de l’autorité publique. Alors l’Etat à Tataouine, « bah ».

Tout le risque, qui d’ailleurs n’est pas improbable, est que le comité des bandits du Kamour fasse une métastase. Alors ce sera la Tunisie de la fin de l’époque ziride.

Dans un pays où la hache des guerres claniques, tribales, régionales et religieuses a été déterrée par la roue de la Barouita série TU 2011, le développement régional ne peut réussir que dans le cadre d’un plan de développement national quinquennal, concerté certes, qui garantie les équilibres régionaux et le développement rigoureux et harmonieux du pays dans le cadre de l’Etat nation. A cet égard, le ministère de la planification doit être réhabilité, ainsi que le Conseil économique et social. Mais, pour cela, il est vital que l’autorité de l’Etat et ses prérogatives de puissance publique reprennent tous leurs droits à tous les niveaux. La Corée du Sud ne s’est pas développée par le conseillisme de Ridha Chiheb Mekki, ou par les comités de coordination de Kerkennah et du Kamour ou par des parlementaires corrompus et criminels, ou encore, autour du slogan présidentiel « Echaab yourid » ou avec une armée et des services sécuritaires de parade.

Mounir Chebil