Kaïs Saïd et Ridha Lénine nous préparent à une anarchie apocalyptique assaisonnée à la sauce islamiste

En Tunisie, Kaïs Saïd, un assistant en droit à l’université, est passé en tête du premier tour des élections présidentielles anticipées du 13 septembre dernier, avec 18,40% des voix exprimées, talonné par Nabil Karoui, un homme d’affaires et propriétaire de la chaîne Messma TV, avec 15,58% des voix. Tous les deux sont donc, en compétition au deuxième tour pour le sacre de la magistrature.

Seulement, le candidat Kaïs Saïed s’est illustré par son mutisme et par le flou qu’il entretient sur son programme. Presqu’aucune déclaration sur sa vision sur les questions sociales et économiques et surtout ses solutions pour le marasme économique actuel.

Toutefois, sur le plan politique, il s’est exprimé par des bribes, laissant entendre qu’il compte œuvrer pour un changement total du système politique actuel et donner plus de place à l’expression populaire dans la détermination de son devenir. Pour ce qui est du mode social tunisien, il a laissé entendre qu’il ferait de sorte que la charia (ensemble Coran et sunna) puisse avoir la place qui lui revient dans les le corpus législatif Tunisien. C’est à cet effet que la secte des frères musulmans tunisiens « Ennahdha » et « el Karama » ont accouru pour le soutenir au deuxième tour.

Son conseillé Ridha Chiheb Mekki, dit Ridha Lénine, un ancien leader du mouvement d’extrême gauche « Les Patriotes Démocrates » dans les années soixante dix et le tout début des années quatre vingt, a été plus loquace sur le volet du nouveau système politique à instaurer en Tunisie. Le schéma du tandem Ridha-Kaïs est une forme de démocratie directe ou de proximité dite « gouvernance participative ». Ce projet est une déconstruction pour une reconstruction du système. Il donne une grande part à la décentralisation de la décision, car il s’agit de bâtir , selon leur vision , du bas vers le haut. « Il faut que la décision émane du peuple » soutient K.S. A cet effet, le projet repose sur des élections d’assemblées à tous les niveaux, quartiers, localités, régions, département, jusqu’à ce qu’on pourrait appeler la haute assemblée. Les assemblées élues auront le pouvoir délibératif et exécutif. Leurs membres seraient responsables et révocables. Le plan de développement local, par exemple, selon les termes de Kaïs Saïed est délibéré et décidé par les conseils de délibération populaires. Le temps des partis est révolu ainsi que l’assemblée nationale en tant qu’assemblée représentant ces partis. Ainsi, chaque ville ou commune serait elle appeler à s’auto-gérer. Comment serait la coordination entre elles ? Y aurait-il une politique générale de l’Etat ? Quel rôle de l’Etat en tant qu’autorité veillant aux équilibres et à la régulation ? L’Etat aurait-il le monopole de la force publique ? Autant de questions restées sans réponse et que Kaïs Saïd, par son mutisme, ne nous a pas aidé à déchiffrer.

Sur ce point, tout porte à croire que les origines marxistes de Ridha Mekki, sont demeurées ancrées dans son inconscient. Son modèle de gouvernance basée sur la destruction pour la reconstruction du système serait la vision de Marx sur l’Etat. Pour ce dernier, l’Etat est le pouvoir spécial de répression exercé par la bourgeoisie contre le prolétariat. Ainsi fallait-il que le prolétariat renverse l’Etat bourgeois pour lui substituer l’Etat prolétarien en tant qu’appareil nécessaire pour briser la résistance de la bourgeoisie et la prise de possession des moyens de production au nom des prolétaires . « L’aboutissement de ce rôle c’est la dictature du prolétariat, la domination politique du prolétariat. » Le système en place en Tunisie ne peut représenter , pour Ridha Lénine et Kaïs Saïd , l’expression de la volonté populaire, ainsi faut-il le détruire pour instaurer un ordre nouveau, où le pouvoir serait détenu par les opprimés et les laissés pour compte .

Une fois le rôle de l’Etat prolétarien est achevé avec l’élimination de la classe possédante, les contradictions de classes s’estompent et comme soutenu par Fredriche Engel dans l’Ani Dühring «…L’intervention d’un pouvoir d’Etat dans des rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre et entre naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place au gouvernement des choses et à la direction de la production. L’Etat n’est pas aboli, il s’éteint.» C’est la société de l’homme parfait dénué de tout égoïsme. « …L’ancienne société Bourgeoise… est remplacée par une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. », lit-on dans le manifeste du parti communiste de K.Marx et F.Engel. Une vision apologique de la société communiste. Ridha Lénine a adopté cette idéalisation de la société parfaite où tous les clivages se seraient estompés dans le cadre de sa démocratie horizontale.

Seulement comme le remarque Vladimir Lénine dans « L’Etat et la révolution », au stade du manifeste communiste « …la question de l’Etat était posée d’une manière très abstraite, dans les notions et termes les plus généraux. »

Toujours selon V.Lénine, Karl Marx a peaufiné sa théorie de l’Etat avec l’avènement de l’insurrection de la commune de Paris en 1971. K. Marx écrit dans son livre « La guerre civile de 1871 » que la commune : « C’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettrait de réaliser l’émancipation économique du travail. » Dans le même ouvrage on peut lire aussi sur la nature de cette expérience : « La commune fut composées des conseillés municipaux élus au suffrage universel…La Commune devrait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois… Il est dit expressément que la commune devrait être la forme politique même des plus petits hameaux de campagne et que dans les régions rurales, l’armée permanente devrait être remplacée par une milice populaire à temps de service extrêmement court. Les communes rurales de chaque département devraient administrer leurs affaires communes…. La commune…. Son véritable secret, le voici: c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière…La forme politique enfin trouvée qui permettrait de réaliser l’émancipation économique…. »

La commune a adopté une forme de démocratie directe basée sur des élections à toutes les échelles pour désigner les représentants de citoyens au sein des diverses assemblées. « L’appel du 22 mars décrit que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont …, comptables et responsables » et leur mandat est impératif » Lénine conclut dans l’ouvrage sus cité : « L’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser la machine d’Etat toute prête et ne pas se borner à en prendre possession. » La Commune a brisé la forme de la démocratie parlementaire pour instaurer une nouvelle forme d’organisation politique. Et c’est la même logique suivie par le tandem Ridha and Kaïs dans leur projet de gouvernance participative qui se réalisera après avoir aboli les institutions actuelles de l’Etat.

Mais la commune, ce modèle de la société parfaite de Marx, s’empêtre dans les réunions, et les élections à répétition et la ville de Paris elle-même, devient un large forum de débats et où l’activité économique était presque totalement paralysée. L’anarchie engendrée par les institutions de la commune a été un facteur important de sa défaite. Les communards ont été défaits durant la semaine sanglante du 21/ 3/au 28/ 5/1871. Beaucoup de sang a coulé. La commune de Paris n’avait duré 72 jours.

Avec le schéma de démocratie directe ou de proximité dite la « gouvernance participative.» de Kaïs Saïed nous allons passer cinq ans dans des discutions sur la révision de la constitution, dans des élections à répétitions à tous les niveaux et de révocation, des réunions et des palabres à l’infini sur tout et rien. Or, quel serait l’opportunité d’élections de conseils qui n’ont pas les moyens d’exécuter les projets pour lesquels elles sont élues ? Encore une fois comment résoudre les clivages locaux et régionaux en l’absence d’une autorité centralisatrice. Ces jeunes qui se sont portés sur Kaïs Saïed, à part qu’ils seraient impliqués directement dans la vie politique à tous les niveaux, accepteraient-ils de vivre d’amour et d’eau plate ? Et si la sécurité et l’armée seraient organisées à l’image de la commune, comment éviter l’anarchie, le terrorisme et l’ingérence étrangère ?
La commune a mené à l’anarchie et à la guerre civile, son sosie « La gouvernance participative » ne résisterait pas aux égoïsmes, aux réflexes claniques de la société berbère, au tribalisme hilalien, au régionalisme ravageur, toutes ces tares ressuscitées et encouragée par des politicards criminels qui ont poussé comme des champignons après le 14 janvier 2014.

L’Etat central garant de l’unité nationale, marginalisé, nous assisterons à l’émergence des micros Etats de la fin de l’époque Zizide et qui n’ont pu arrêter l’invasion hilalienne ravageuse .

L’utopie de la société parfaite de Ridha Mekki partagée avec Kaïs Saïd, nous prépare à une anarchie apocalyptique assaisonnée à la sauce islamiste, jouant, d’une manière consciente ou inconsciente, le jeu des stratèges de la théorie de la gouvernance par le chaos. La question qui se pose aussi, le système de Kaïs Saïd et son mentor Ridha Lénine nous mènerait-il au système des soviets de la Russie révolutionnaire. Ce serait l’objet du prochain article.

Mounir Chebil