Le premier chapitre de la première partie de mon livre « Le miroir et l’horizon : rêver la Tunisie » traite de « la fracture sociétale et du déclin de l’Etat et des institutions ». Dans ce chapitre, j’avais considéré que l’accord de Carthage, illustration la plus visible de la politique du consensus, en véhiculant cette tentative de vouloir camoufler le conflit a éludé l’opportunité de le résoudre car comme disait Samir Brahimi dans un article datant de 2018 (1), il y a davantage de possible dans un conflit que dans un consensus. Je n’irai pas jusqu’à parler comme l’a fait Christophe Pacific (2), de « conflit nécessaire », mais dans mon esprit, le consensus ne peut être durable que lorsque les divergences sont d’abord mises à plat et ensuite réellement prises en charge par le processus de construction du consensus.
L’expérience de la Libye semble conforter ce sentiment que nous avons exprimé depuis près de cinq ans. À cet égard, nous ne pouvons que féliciter les frères libyens d’avoir su retrouver la voie de la concorde et souhaiter une reconstruction rapide de ce pays ami, car il y va de l’intérêt de la Tunisie et de la région dans son ensemble.
Je souhaite à l’occasion plein succès à la nouvelle équipe gouvernementale récemment mise en place et dont certains membres ont été des collègues avec qui nous avons œuvré afin que les relations tuniso-libyennes soit hissées au niveau qu’elles avaient atteint en 2010 avec un niveau d’échanges commerciaux dépassant le seuil de 4 milliards de dinars. Je cite en particulier, Mohammed Habib Houij, autrefois ministre des finances, chargé dans la nouvelle équipe de l’économie et du commerce. Des rumeurs courent également sur le possible retour de notre ami Farhat Ben Gdara aux commandes de la Banque Centrale libyenne. Malgré que la Tunisie n’a rien fait pour faciliter le séjour ni même le transit de ces personnes, je sais que ces responsables portent encore une haute idée de la Tunisie, de ses compétences et demeurent convaincus de sa capacité à rebondir. Il reviendra aux autorités tunisiennes concernées de savoir négocier ce tournant qui peut donner à notre économie par ces temps durs, une grande bouffée d’oxygène . Je dois saluer à cet égard les efforts menés par la Chambre de commerce de Sfax qui a devancé le mouvement en organisant cette rencontre avec un certain nombre d’hommes d’affaires libyens.
Afin d’accompagner les efforts du secteur privé j’appelle les autorités à reprendre rapidement les grands projets communs auxquels nous avons pensés et qui ont été mis en sourdine sous l’effet de ce vent destructeur qui a soufflé en 2011 à la fois sur la Tunisie et la Libye .Je pense particulièrement à ce projet de création d’un grand pôle bancaire tuniso-Libyen qui regrouperait la BTL,La NAIEB ,l’ALUBAF et qui permettrait outre la restructuration du secteur bancaire tunisien dans le sens de sa consolidation , de mettre sur pied un véhicule efficace de financement ,véritable levier de la coopération économique et financière .
Taoufik Baccar
(1) Samir Brahimi ; L’accord de Carthage : de « la démocratie du meilleur possible » à « la démocratie du moindre mal » ; Les cahiers du CIPED.
(2) Christophe Pacific ; Consensus/dissensus, Principe du conflit nécessaire ; Collection : Ouverture Philosophique