La CIA a conclu que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul le mois dernier, rapporte vendredi 16 novembre le Washington Post, citant plusieurs sources anonymes au courant des investigations.
Cette information divulguée par le journal où collaborait régulièrement le journaliste critique du prince héritier contredit les récentes affirmations du royaume saoudien qui a totalement dédouané le prince Mohammed ben Salmane.
Contactée par l’AFP, l’agence américaine de renseignements a refusé de commenter. Pour parvenir à ces conclusions, précise le Washington Post, la CIA a examiné plusieurs sources de renseignement, notamment un appel entre le frère du puissant prince héritier, également ambassadeur du royaume des Saouds aux Etats-Unis, et Jamal Khashoggi.
Conseil à la demande de Mohammed
Selon le quotidien de Washington, Khalid ben Salmane a conseillé à M. Khashoggi de se rendre au consulat saoudien à Istanbul, lui assurant qu’il ne lui arriverait rien.
Le quotidien ajoute qu’il avait passé ce coup de fil à la demande de son frère Mohamed, ajoutant qu’il n’était pas clair que Khalid ben Salmane soit au courant que le journaliste Khashoggi serait ensuite assassiné.
Khalid ben Salmane a très rapidement réagi, sur Twitter, à ces accusations. « C’est une accusation grave qui ne devrait pas être laissée à des sources anonymes », a-t-il dénoncé, accompagnant son tweet d’un communiqué qu’il dit avoir transmis au journal. « A aucun moment le prince Khalid n’a discuté de quoi que ce soit avec Jamal à propos d’un voyage en Turquie », est-il notamment écrit.
Avertissement
De son côté, le New York Times indique que des responsables américains ont averti que les agences de renseignement américaine et turque n’avaient pas de preuve évidente liant le puissant prince héritier à l’assassinat de M. Khashoggi. Mais, selon le journal new-yorkais, citant des responsables, la CIA estime que l’influence du prince est telle que l’assassinat n’aurait pu se produire sans son aval.
Entré le 2 octobre dans le consulat d’Arabie Saoudite d’Istanbul, le journaliste critique du pouvoir y a été assassiné. Le procureur général saoudien a admis jeudi 15 novembre que le journaliste avait été drogué et déchiqueté sur place.
Sordide
Le parquet saoudien reconnaît officiellement tous les détails sordides : le journaliste a bel et bien été drogué et démembré. Par ailleurs et sans surprise, Riyad nie toute implication du prince héritier Mohamed Ben Salmane dans cette affaire. Les explications saoudiennes sont « insuffisantes », a fait savoir la Turquie.
Le principal responsable désigné dans le meutre de Jamal Khashoggi est Ahmed Al Assiri, chef adjoint des renseignements saoudiens. C’est lui qui donne l’ordre : rapatrier le journaliste en Arabie Saoudite, de gré ou de force. Un commando saoudien s’envole alors vers la Turquie. Jamal Khashoggi, journaliste, opposant, est à ce moment-là retenu au consulat de son pays à Istanbul.
Acte I : agir de manière méthodique. Les caméras sont débranchées. Il n’y a plus de vidéo surveillance à l’intérieur du consulat.
Acte II : le supplice commence. Jamal Khashoggi est drogué et démembré. Selon le parquet saoudien, l’ordre d’élimination est donné sur place par le chef de l’équipe qui mène cette opération. Comprendre : une initiative personnelle.
Acte III : effacer les preuves, faire disparaître les différentes parties du cadavre hors du consulat.
De retour au pays le commando remet un faux rapport aux responsables du renseignement. Proches du prince héritier Mohamed Ben Salman, ces responsables ont été limogés le mois dernier. Les cinq membres du commando impliqués directement dans l’assassinat risquent désormais la peine capitale.
La Turquie a jugé « insuffisantes » les explications fournies par le parquet saoudien. « Ce meurtre, comme nous l’avons déjà dit, a été planifié à l’avance », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu.
Les explications de la justice saoudienne sont jugées insuffisantes par le chef de la diplomatie turque, parce qu’aux yeux du pouvoir turc l’assassinat n’a pas été décidé sur place à Istanbul mais bien à l’avance, et que les commanditaires sont de très hauts responsables de l’État saoudien, explique le correspondant de RFI à Istanbul, Alexandre Billette. En fait, la Turquie veut obliger le pouvoir de Riyad à reconnaître ses responsabilités dans le meurtre. C’est la raison pour laquelle notamment la presse turque pro-gouvernementale a accès à des fuites sur l’enquête qu’elle publie jour après jour.
C’est la raison aussi pour laquelle Ankara demande désormais la tenue d’une enquête internationale pour faire toute la lumière sur l’assassinat du journaliste. La demande a été immédiatement rejetée par l’Arabie saoudite, qui proposait plus tôt un accord avec la Turquie afin d’échanger les informations des deux pays sur le meurtre, une proposition évidemment restée sans suite de la part d’Ankara.
Le Trésor américain a annoncé le jeudi 15 novembre des sanctions ciblées contre 17 responsables saoudiens pour leur « responsabilité ou leur complicité » dans le meurtre de Khashoggi