La Chine assume l’enfermement de milliers de citoyens musulmans pour rééducation

Après avoir nié farouchement durant plusieurs mois l’enfermement de milliers de citoyens musulmans dans des camps de rééducation, les autorités chinoises cherchent désormais à leur donner une base légale, sur fond de campagne anti-halal.

Acculé depuis des mois à reconnaître l’existence de camps secrets de détention de musulmans dans le Xinjiang (autrefois appelé «Turkestan oriental»), à l’Ouest de la Chine, Pékin a reconnu à demi mot l’enfermement de citoyens musulmans, majoritairement issus de l’ethnie ouïghour.

L’accumulation de témoignages récoltés par Human Rights Watch ( HRW )  et des médias étrangers sur l’existence de ces camps de détention a en effet poussé la Chine à changer sa stratégie de communication sur cette question. Le 9 octobre, le Parti communiste chinois a proposé des amendements à la loi «anti-extrémisme», assumant ainsi officiellement l’utilisation des camps de rééducation. Ces nouveaux textes cherchent à donner un cadre légal à l’utilisation de «centres de formation professionnelle» destinés à «éduquer et transformer» les personnes influencées par une idéologie extrémiste et leur offrir des «opportunités d’emploi». Cette reconnaissance s’inscrit dans une large campagne anti-halal revendiquée par le Parti.

Sous prétexte de lutte antiterroriste, les autorités chinoises arrêteraient arbitrairement des citoyens musulmans de tous âges. Ils seraient enfermés indéfiniment dans des cellules surpeuplées et soumis à un endoctrinement politique intensif, centré sur l’apprentissage par cœur des «pensées de Xi Jinping», le président chinois. Environ 10% de la population musulmane de la région, soit un million de personnes environ, serait détenue dans des dizaines de centres de détention extrajudiciaires, visibles sur des images satellites.

Plusieurs critères de détection de la radicalisation

Dans cette région ancestralement musulmane, toute marque de conviction religieuse, de respect de la tradition locale ou de liens avec l’étranger est désormais considérée comme signe de «radicalisation» ou de «sympathie terroriste». Selon Libération, de très nombreuses «infractions» seraient susceptibles d’envoyer un habitant derrière les barreaux pour suspicion de radicalisation : ne pas boire d’alcool, ne pas fumer, consulter la messagerie WhatsApp, être jeune et porter une longue barbe ou un foulard, refuser de livrer ses données biométriques, participer à des funérailles traditionnelles ou encore parler avec quelqu’un qui a voyagé à l’étranger.

« Je crois au marxisme-léninisme. Je lève l’étendard et combats jusqu’au bout la mode du halal, ferme dans ma croyance, et même jusqu’à la mort » , proclame le serment

En outre, depuis avril 2017, étudier le Coran, jeûner pendant le Ramadan, de même que donner un prénom musulman à son enfant sont devenus des délits passibles de peines d’emprisonnement. Selon RFI, cette reconnaissance de l’existence des camps intervient au lendemain du lancement d’une campagne «anti-halal» dans le Xinjiang par les autorités chinoises. D’après la même source, sur les réseaux sociaux, des images ont circulé montrant des employés han, ethnie majoritaire dans le pays, se photographiant avec un camarade ouïghour à la cantine, la légende précisant que celui-ci «mange du porc pour la première fois de sa vie». Les cadres du Parti communiste ont par ailleurs reçu l’ordre de poster sur les réseaux sociaux ce serment : «Je crois au marxisme-léninisme. Je lève l’étendard et combats jusqu’au bout la mode du halal, ferme dans ma croyance, et même jusqu’à la mort.»

Une région stratégique pour Pékin

Par ces méthodes, les autorités chinoises entendent lutter contre l’extrémisme religieux. Plusieurs attentats terroristes ont en effet été commis ces dernières années par des commandos ouïghours. Ils ont fait une centaine de victime. Des dizaines de Chinois musulmans ont en outre rejoint les rangs du groupe terroriste Daesh en Syrie et en Irak.

Mais ces tensions entre Ouïghours et le gouvernement chinois sont anciennes et découlent des velléités d’indépendance récurrentes du «Turkestan oriental». En plus des très importantes différences culturelles qui séparent cette région du reste de la Chine (langue, religion, traditions), elle constitue un enjeu stratégique de grande importance pour la puissance économique colossale qu’est la Chine. En effet, cette région située à l’orée de huit pays d’Asie centrale, dont la Russie, a une importance géostratégique pour Pékin. Elle est également très riche en ressources naturelles, notamment en gaz et en pétrole : ses réserves représenteraient près de 25% de la production nationale chinoise

Washington instrumentalise la problématique ouïghoure pour affaiblir Pékin

C’est seulement en avril 2017 que l’organisation internationale HRW a dénoncé la répression qui toucherait la population ouïghoure. Ces dénonciations prennent ensuite de l’ampleur dans les médias étrangers, notamment via Radio Free Asia, une station de radio privée financée par le Congrès des Etats-Unis. En août, les Nations unies ont pour la première fois réclamé la fermeture des camps. Le 12 octobre, des élus du Congrès américain, républicains et démocrates, ont rendu un long rapport sur la «répression sans précédent» de la minorité musulmane chinoise, qui, selon eux, pourrait constituer un «crime contre l’humanité».

Actif pour la reconnaissance de cette cause, le congrès mondial des Ouïghours, basé à Munich, est une organisation soutenue financièrement par le National Endowment for Democracy, (NED), qui y contribue à hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars par an pour «améliorer la connaissance et la visibilité des problématiques des droits de l’homme des Ouïghours» dans le Xinjiang. La NED est une organisation américaine qui a pour but de «promouvoir la démocratie» en assurant le financement d’ONGs par des fonds qui proviennent en majeure partie du Congrès des Etats-Unis. Elle est également connue pour avoir financé des révolutions colorées, comme en Ukraine, en Géorgie, au Venezuela ou encore au Liban. Des critiques s’élèvent d’ailleurs contre l’action de la NED en Chine. Soupçonnée d’être un outil de la politique étrangère des Etats-Unis, la NED est accusée d’instrumentaliser la problématique ouïghoure dans le but affaiblir Pékin.

Sources : agences et RT