
Essoussi Kamel
Il était l’exemple du bon vivant qui avait sillonné les mers, les airs et les terres, à voyager, à sautiller de suédoises en allemandes, à bosser dur en plein boom économique lorsqu’il dégénéra soudainement, sans que personne n’en comprenne les raisons, en homme dévot et pieux qui ne jurait plus que par char3-allah au point de perdre les pédales et de péter les plombs. Une vraie bourrasque subite de Tadayyon qui avait soufflé tous les circuits de bon sens de sa cervelle et détruit le reste de sa vie. Son délire de charaa Allah l’’enfonçât de dépression en dépression. Il brûlât cigarette sur cigarette, jusqu’à l’étouffement, jusqu’au dernier râle puis mourut à un âge relativement précoce laissant une veuve, deux charmantes orphelines et ….. un petit appart que sa femme lui avait légué le plus légalement du monde devant huissier notaire, pour le rassurer quand il ne travaillait plus.
Sa veuve l’enterra, le pleura. Ses belles sœurs et ses beaux frères aussi. Son chagrin s’effilochait et disparaissait et son deuil était presque entièrement consommé, lorsque la succession du défunt s’ouvrit : Allah yarhmou mon frère, disait la plus rahdana de tous, la pieuse, la nonne de la famille, ânonnant ces formules facebokkiennes de dou3a conforme au char3- allah même pour dénaturer un bonjour, pour qu’Allah éclaire sa tombe , en fasse un château et lui épargne l’affreux bâton des tortionnaires Monker et Nakir selon la légende de Char3-Allah. Elle versa une ultime larme sur commande qu’elle essuya dans un geste théâtral du torchon de tissu qui lui recouvrait la tête et rajouta comme pour mieux affirmer sa science charaïque. « Il a vécu fi thekr allah à aimer errassoul. Il n’a rien laissé pour héritage à ses filles, dit-elle d’un air faussement dépité, à part les parts de ses filles.et nos parts à nous ses frères et ses sœurs de cette humble maison ! »
Un silence de mort plana sur la salle. La honte généralisée de l’assistance face à tant d’indécence de la représentante de Char3-Allah. Le désarroi de l’âme meurtrie du défunt à l’idée que ces filles et sa femme soient obligées de partager avec tant d’oncles et de tantes leur petit couloir et leur deux petites pièces toilette. C’est vrai que Char3-Allah introduit les tantes et les oncles s’il n’y a pas de garçon mâle pour les écraser et les empêcher de partager avec les enfants et la veuve du défunt. » « Char3-Allah ! C’est la règle ! martela la tante nonne de service » Mais qu’est ce que vous avez à me regarder de cet air réprobateur » « Yekhi vous voulez vous opposer à char3-Allah . Vous pouvez vous abandonner votre part, mais moi je ne peux pas enfreindre la loi d’Allah. J’aime bien mes petites nièces, rajouta t elle cynique, mais exécuter les ordres d’Allah est plus fort que tout. »
Les deux petites orphelines regardaient dans le vide, hagardes ; ne comprenaient rien à ces adultes. La veuve sentait des flots de larmes remonter en silence de ses entrailles. Une ghossa la tenaillait, lui torsadait le gosier d’injustice, de rage contenue qui ne pouvait plus sortir, solidifiée par l’horreur contre ce Char3- Allah. Puis ses larmes résignées se mirent à dégringoler le long de ses joues poliment en deux ruisselets qui allaient se perdre dans la commissure de ses lèvres.
Le lendemain, tous se rencontrèrent pour les quarante jours de la mort. Après les salamalek d’usage à recevoir et à prendre congé des présents où la grande nonne dévote et soucieuse de char3 allah trônait en maître de maison à faussement pleurer son frère , la veuve tendait une enveloppe de 2000 D , part d’Allah pour la laisser vivre chez elle dans sa maison . Elle avait reçu de la CNSS un mandat de 7 000 Dinars au titre du capital décès. Bourguiba ou ce qu’il en reste était là encore à sauver la veuve et ses deux filles des griffes des imams et de ce farfelu Hachmi hamdi accouru de Londres dénigrer char3 Bourguiba aux pieds de sa statue et prier au nom de Char3- Allah. sur les crachats qui jonchent son avenue.
Essoussi Kamel