Un Congolais et une Yazidie Prix Nobel de la paix 2018

Ce endredi 5 octobre, le prix Nobel de la paix a été attribué au Congolais Denis Mukwege et à la Yazidie Nadia Murad.
Le prix Nobel de la paix a été attribué vendredi au médecin congolais Denis Mukwege et à la Yazidie Nadia Murad, ex-esclave du groupe terroriste Daesh, qui oeuvrent à « mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre ».

L’un gynécologue, l’autre victime, Denis Mukwege (63 ans) et Nadia Murad (25 ans) incarnent une cause planétaire qui dépasse le cadre des seuls conflits, comme en témoigne le raz-de-marée planétaire #MeToo déclenché il y a un an par des révélations de la presse sur le comportement du producteur américain Harvey Weinstein.

« Denis Mukwege et Nadia Murad ont tous les deux risqué personnellement leur vie en luttant courageusement contre les crimes de guerre et en demandant justice pour les victimes », a déclaré la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen.

« Un monde plus pacifique ne peut advenir que si les femmes, leur sécurité et droits fondamentaux sont reconnus et préservés en temps de guerre », a-t-elle ajouté.

Les Nations unies ont salué une annonce « fantastique » qui « aidera à faire avancer le combat contre les violences sexuelles comme arme de guerre dans les conflits ».

L’ICAN en 2017

L’an dernier, le Nobel de la paix était allé à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) pour avoir contribué à l’adoption d’un traité historique d’interdiction de l’arme atomique.

Le prix, qui consiste en une médaille d’or, un diplôme et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (environ 865.000 euros), est remis à Oslo le 10 décembre, date-anniversaire de la mort de son fondateur, l’industriel et philanthrope suédois Alfred Nobel (1833-1896).

Nadia Murad , récipiendaire du Nobel de la paix 2018 !

La vie de Nadia Murad a basculé le 15 octobre 2014 , lorsque les djihadistes de Daech sont entrés dans le petit village de Kocho , en Irak. Ce jour-là , après avoir rassemblé tous les habitants de cette communauté yézidie dans l’école , les terroristes les ont méthodiquement tués ou kidnappés. L’horreur avait été programmée : les hommes qui refusaient de se convertir à l’islam devaient rejoindre dans les fosses les femmes jugées trop vieilles pour servir. Et parmi elles , la mère de Nadia Murad.
La jeune Yézidie est emmenée à Mossoul avec des milliers d’autres jeunes filles pour y être vendue. Servante , esclave sexuelle , elle devient la prisonnière de combattants de l’Etat islamique , jusqu’à sa fuite miraculeuse , grâce à l’aide d’une famille irakienne sunnite.
Nadia Murad , meurtrie par la disparition de tant des siens et par ce qu’elle a subi , vit aujourd’hui en Allemagne. Malgré les humiliations , elle a décidé de prendre la plume pour tout raconter. Pas pour elle , puisqu’il est déjà trop tard , mais pour tous les Yézidis et pour toutes les autres femmes victimes de violences.
Aujourd’hui , Nadia Murad n’a qu’un seul souhait :  » Être la dernière fille au monde à avoir à raconter une histoire pareille.  »
Ce livre est son histoire :  » Pour que je sois la dernière  » , éd.Fayard , 380 pages

Ce témoignage , puissant et bouleversant , poussera-t-il le monde à agir contre les exactions commises par des barbares sanguinaires venus d’un autre temps , un temps sombre et sanglant ? Destructions des patrimoines de l’humanité , autodafés de manuscrits millénaires , viols , décapitations s’ils ne brûlaient pas vivants hommes et femmes .

Extraits

 » (…) On nous a de nouveau séparées , en deux groupes cette fois. On nous a fait mettre en rang et monter dans des cars. Certaines — toutes les filles de Kocho que je connaissais — sont demeurées sur place. Nous ne leur avons pas dit au revoir et nous avons appris plus tard que leur groupe avait été conduit au-delà de la frontière , à Rakka , la capitale de l’État islamique en Syrie (…)
Il était un peu moins de dix heures du matin quand nous nous sommes arrêtés devant une maison verte à deux étages , légèrement plus petite que la précédente. On nous a poussées à l’intérieur. Plusieurs filles étaient déjà là. Pendant que nous attendions là , un combattant est entré pour vérifier que les fenêtres étaient correctement camouflées et que personne ne pouvait voir ni à l’intérieur , ni à l’extérieur. En sortant , il nous a crié de prendre une douche.  » Vous puez toujours comme ça , vous , les Yézidis ?  » , a-t-il demandé avec une grimace de dégoût exagérée. J’espérais que j’empestais vraiment. Notre crasse était une armure qui nous protégeait des mains des hommes comme Abou Batat. Débarrassez-vous de toute cette saleté ! , ont-ils exigé ! 
(…) Le marché aux esclaves a ouvert à la nuit tombée. Nous avions entendu du tohu-bohu au rez-de-chaussée où les combattants s’inscrivaient et réglaient les questions d’organisation et , quand le premier homme est entré , toutes les filles se sont mises à hurler. On aurait dit qu’une bombe venait d’exploser. Nous gémissions comme si nous étions blessées , mais rien n’arrêtait les combattants. Ils ont fait le tour de la pièce , nous examinant attentivement , indifférents à nos cris et à nos supplications (…) Ils se sont dirigés vers les plus jolies. Ils leur demandaient :  » Quel âge as-tu ?  » , avant d’inspecter leurs cheveux et leurs dents. Puis ils s’adressaient à un garde :  » Elles sont vierges , tu es sûr ?  » Et celui-ci hochait la tête  » Évidemment !  » , répondait-il , comme un boutiquier faisant l’article. 
(…) Un chaos absolu régnait pendant que les hommes arpentaient la pièce , passant les filles en revue et leur posant des questions en arabe ou en turkmène. Nafah , qui était arrivé dès l’ouverture du marché , a choisi une fille très jeune , ce qui a fait rire ses compagnons :  » On était sûrs que tu prendrais celle-là  » , l’ont-ils taquiné.  » Préviens-nous quand tu auras fini avec elle — tu nous la passeras .
Un combattant plus âgé , un gros type avec un énorme ventre , qui s’appelait Hajji Shakir ( Hajji est à la fois un prénom courant et un titre désignant les hommes particulièrement respectés ) et était un des chefs de Mossoul , est apparu sur le seuil , suivi d’une fille. Elle portait le niqab et l’abaya obligatoires pour toutes les femmes dans les villes de l’Etat islamique.  » Elle est à moi , a-t-il annoncé en la poussant dans la pièce. Elle va vous dire combien elle est heureuse , maintenant qu’elle est musulmane.  » 
La fille a soulevé son niqab. Elle était chétive , mais très belle et quand elle a ouvert la bouche , j’ai vu étinceler une petite dent en or. Je ne lui donnais pas plus de seize ans.  » Elle est devenue ma sabiyya quand nous avons libéré Hardan des infidèles  » , a repris Hajji Shakir.  » Raconte à ces filles que tu es en paix , maintenant que tu es avec moi et que tu n’es plus kafir , lui avait-il répété alors qu’elle gardait le silence (…)
La décision d’attaquer le Singar et de nous emmener pour faire de nous des esclaves sexuelles n’avait pas été prise spontanément sur le champ de bataille par un soldat cupide. LEIIL avait tout prévu : comment ils entreraient chez nous , ce qui rendait une fille plus ou moins précieuse , quels combattants méritaient une sabiyya comme avantage en nature et lesquels devraient payer. « 

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Nadia Murad est née en 1993. Accompagnée de son avocate , Amel Clooney , elle est la porte-parole de la cause yézidie à travers le monde. Nominée pour le prix Nobel de la paix , elle est lauréate du Prix Sakharov et du Prix Vaclav Havel en 2016. La même année , elle est devenue ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains.

Avec agences