Tunisie : la Ligue des droits de l’homme fragilisée par une crise interne

Une véritable guerre de clan fait ravage au sein des instances des Droits de la personne en Tunisie. Les élites en place sont noyautées par des groupes de pression, qui les instrumentalisent souvent pour des fins politiques. D’un côté ces « élites formées à la Française » , à la merci de l’occident, et de l’autre, des restes de la gauche estudiantine et syndicaliste qui agissent sans allégeances politiques claires. Mais, qui opèrent selon les liens de proximité, ou même de sang, se partageant les postes de père en fils. Les intérêts privés reignent en maître. 

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Le dernier conseil national de l’organisation de défense des droits de la Personne, co-lauréate du prix Nobel de la paix en 2015, a été perturbé par des opposants critiquant ses orientations actuelles. Une contestation derrière laquelle la direction voit des manœuvres du pouvoir pour l’affaiblir.

Bastion de la défense des droits humains en Tunisie , la vénérable Ligue tunisienne des droits humains (LTDH) devait, à l’occasion de son conseil national organisé le 16 mai, commémorer son 48 anniversaire.

Le rassemblement, perturbé par certains des présents, dont une partie issue des rangs de la Ligue elle-même, a tourné au chahut, ce qu’ont déploré les dirigeants de l’organisation non gouvernementale.
Selon Najet Zammouri, sa vice-présidente, les protestataires étaient des membres de sections de la Ligue proches du pouvoir et opposés au bureau actuel, qui exigeaient d’assister à la réunion, alors que le règlement intérieur spécifie que seuls les membres du bureau exécutif, les présidents de section ou leurs représentants sont supposés y participer.

« Atteinte à son indépendance »

« Ce genre de comportement inacceptable et condamnable nous rappelle les pratiques autoritaires du passé, que nous pensions révolues, que nous avons rejetées et que nous continuons à rejeter, a ensuite commenté Najet Zammouri sur les réseaux sociaux. Ce qui s’est produit n’est pas seulement une infraction au règlement intérieur, mais également une tentative de porter atteinte à l’indépendance de la Ligue et de nuire à son parcours militant. »

Institution phare de la société civile tunisienne et doyenne des ligues des droits de l’homme en Afrique et dans le monde arabe, l’organisation « a été ciblée depuis l’ère Bourguiba « , rappelle encore la dirigeante. Mais pour beaucoup, cette offensive s’inscrit dans un mouvement général entamé par le pouvoir depuis le 25 juillet 2021, qui consiste à s’attaquer systématiquement aux corps intermédiaires et aux structures de contrôle. Hier les instances dédiées à la régulation du secteur audiovisuel (Haica) ou à la lutte contre la corruption (Inlucc), aujourd’hui les associations et ONG apportant de l’aide aux migrants.

Prochaine date au calendrier de la LTDH : le 31 mai, jour où devrait se tenir un « Congrès national pour les droits, les libertés et pour une République démocratique ». Mais pourra-t-il se tenir ?

Dans une pétition, les dissidents estiment que la décision d’organiser cet événement résulte d’une décision unilatérale de la direction, qui n’a pas pris la peine de requérir l’avis des structures internes ni des membres de la LTDH. Ils alertent donc sur une éventuelle dérive de la Ligue, citant en exemple l’appel à abroger les lois liberticides et à libérer les prisonniers d’opinion, qu’ils assimilent à une volonté d’exonérer ceux qui ont commis des actes de violence, de corruption, voire des atteintes aux droits des femmes.

S’ils n’avancent pas vraiment de contre-proposition, les opposants internes de la Ligue suggèrent tout de même la tenue d’un congrès alternatif pour, disent-ils, remettre les « droits humains dans leur globalité au cœur de l’action de la Ligue, défendre les principes d’une justice indépendante et exiger l’abrogation du décret 54″. Des combats que l’actuel bureau de la LTDH n’a eus de cesse de mener.

Le président de l’ONG, cible des réseaux sociaux

Particulièrement visé par les contestataires, notamment sur les réseaux sociaux : l’actuel président de l’ONG, Bassem Trifi. Qui a comparé les méthodes des perturbateurs du 16 mai à celles employées, en son temps, par Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL) aujourd’hui emprisonnée , qui s’était fait une spécialité de photagraphier  l’activité de l’Assemblée des représentants du peuple, la chambre basse du Parlement de Tunisie.

Ces paroles malencontreuses ont provoqué un tollé chez les partisans du PDL, qui ont joint leurs voix à celles des dissidents de la ligue dans le tintamarre médiatique. Les soutiens du régime ont profité de cette brèche pour clouer au pilori Bassem Trifi. Il lui est reproché d’être le fils de Mokhtar Trifi , qui fut lui-même président la LTDH, en soulignant que « la charge n’est pas héréditaire », et le qualifiant de « mercenaire ».

Autant d’attaques qui semblent confirmer une volonté de museler une ONG qui a été de tous les combats de la Tunisie moderne. Et dont l’action, au lendemain de la révolution de 2011, lui a valu de recevoir, aux côtés de l’Ordre des avocats, du patronat et de la centrale syndicale UGTT, le prix Nobel de la paix.

Farida Dahmani,Jeune Afrique du 22 mai 2025