Tunisie : Des procès politiques symboles d’un retour à la dictature

Kaïs Saïed a été élu président de la République, en octobre 2019, avec un large soutien populaire (72,7% des voix) notamment de la jeunesse, dans un climat de fortes divisions politiques.

Mais en juillet 2021, il a prononcé l’Etat d’exception, gelé puis dissous le parlement et suspendu la Constitution. Il s’est de fait octroyé les pleins pouvoirs et l’a « légalisé » un an plus tard en faisant adopter une nouvelle Constitution par un référendum auquel seulement 12% des électrices et électeurs ont participé.

Depuis lors, le président de la République tunisienne n’a de cesse de porter atteinte aux droits et libertés les plus fondamentales. Ainsi la justice a été mise au pas via la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, le limogeage ou le déplacement sans justification de juges dits rebelles. L’espace civique a été réduit à peau de chagrin. Les arrestations d’opposant-e-s politiques, d’avocat-e-s, de magistrat-e-s, de journalistes ou de militant-e-s d’organisations les plus diverses sont devenues monnaie courante, à tel point qu’un nombre croissant de Tunisiennes et Tunisiens décident de quitter leur pays pour se réfugier à l’étranger.

C’est dans ce contexte qu’ont été montées les affaires dites du complot contre la sûreté de l’Etat. Leur objectif est de jeter le discrédit, d’humilier et de faire taire toute voix discordante. Il suffit de se pencher sur le profil des personnes inculpées (leaders des partis politiques de la transition démocratique, activistes de la société civile, hommes d’affaires et d’autres encore) pour voir que rien ne les réunit a priori.

Si les condamnations encourues n’étaient pas aussi lourdes, les accusations pourraient paraître grotesques : complot, atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et appartenance à une organisation terroriste. Pas la moindre preuve concrète à l’appui, une instruction viciée menée par un juge qui, depuis, s’est enfui à l’étranger, des témoins anonymes, des erreurs de procédure grossières, des salles d’audience verrouillées… ce qui a conduit le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme à dénoncer un « processus entaché par des violations du droit à un procès équitable et du droit à une procédure régulière. »

Le premier procès, bâclé en trois audiences, sans réquisitoire du Parquet ni plaidoiries des avocats de la défense, a abouti le 19 avril 2025 à des condamnations allant de 13 à 66 ans de prison (plus de 1 000 ans de peines cumulées selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) à l’encontre de la quarantaine d’accusés dont 23 sont en exil.

Ce 28 juin 2025 aura lieu la deuxième audience du second procès de même nature (affaire dite du complot n°2) et les protagonistes sont accusés d’avoir « tenté de mettre en place un réseau secret pour infiltrer l’appareil sécuritaire de l’Etat et dans ce cadre, de recruter de jeunes salafistes tunisiens visant à les inciter à commettre des attentats terroristes ». En première ligne, Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha (emprisonné depuis plus d’un an), et un certain nombre de ses proches mais aussi une élue de Nidaa Tounes, un ancien conseiller de Moncef Marzouki et même une ancienne directrice de cabinet de Kaïs Saïed ou encore de nombreux hauts fonctionnaires…

Face à ces mascarades de justice, la LDH (Ligue des droits de l’Homme) tient à exprimer sa solidarité avec les femmes et les hommes victimes de cette politique de l’arbitraire. Elle demande la libération de tous les prisonniers politiques et rappelle que, dès lors qu’un procès a lieu, il doit respecter les normes internationales en matière judiciaire, au premier rang desquels figure le droit à un procès équitable. Elle appelle plus largement au respect de l’Etat de droit et en particulier des droits et libertés fondamentales que Tunisiennes et Tunisiens avaient chèrement acquis après la révolution de 2011.

Paris, le 23 mai 2025

Communiqué