Tunisie : de quelle nouvelle démocratie nous parle-t-on ?

Mansou Mhenni

Mansou Mhenni

Curieuse attitude que celle de ces dirigeants politiques qui ne réalisent toujours pas que certaines de leurs initiatives prétendument innovantes ressemblent plus à des retours répétés à la case de départ d’autres initiatives avortées ou largement en faillite !De quelle nouvelle démocratie nous parle-t-on ?
J’avoue comprendre ceux qui cherchent à rassembler les énergies politiques éparses car ceux-là au moins auraient le sens d’un équilibre à renforcer pour empêcher la puissance démesurée d’un seul groupement, pouvant le conduire à la domination absolue de toutes les structures de l’Etat et, de là, à la dictature. Mais s’obstiner à créer encore une autre formation politique pour l’ajouter au nombre déjà vertigineux des partis dans la Tunisie de l’après 2011, c’est à la limite œuvrer contre l’intérêt national et peut-être, d’une certaine façon, contre le processus de démocratisation qui ne semble pas trouver encore le bon pied pour se relever.
Ce qui m’amène à soulever encore une fois la question de telles démarches, c’est les dernières déclarations d’Ahmed Néjib Chebbi faisant état de son intention de lancer, avec l’ancien ministre Afif Hendaoui, une nouvelle initiative politique à laquelle il compte donner le nom de « Nouvelle Démocratie ». C’est encore la preuve, me semble-t-il, qu’A.N. Chebbi n’a encore ni rationnellement assumé ses échecs passés, ni clairement déterminé ses stratégies futures.
En effet, on se souvient qu’à chaque nouveau gouvernement, il n’a pas hésité à offrir ses services, parfois de façon par trop artificielle, comme d’avoir laissé entendre, en marge de la formation de l’équipe de Youssef Chahed, qu’il pouvait être le représentant du parti Al-Joumhouri dans ce gouvernement, puis d’avoir réitéré ou rappelé sa démission de ce parti quand la formule a paru non concluante.
Il faut dire que ces pratiques n’étonnent plus dans le flou artistique qui règne sur le nouement et le dénouement des accointances et des coalitions dans notre paysage politique actuel. Cependant, même si la cohérence n’est plus de mise, il est regrettable qu’une figure comme N. Chebbi, qui a pu jouir, un moment, d’une crédibilité et d’une expérience certaines malgré des secousses apparentes et des fissures flagrantes dans le logis tenant lieu de parti de famille, en arrive à un tel papillonnage politique digne des adolescents en la matière.
D’un côté, la dernière déclaration de N. Chebbi reprend presque celle qu’il avait donnée à la Radio nationale le 31 août, juste après l’installation du nouveau gouvernement, annonçant son nouveau parti, le « Parti Démocrate », sur les cendres de son think-tank. Afif Hendaoui, à peine en déconnexion avec Machrou Tounès ou peut-être pas encore, était déjà compté de la partie, et avec lui Ahmed Friaâ. Maintenant N. Chebbi passe du parti démocratique à la « Nouvelle Démocratie ». Qu’est-ce donc que la nouvelle démocratie ? S’il s’agit d’un concept, il est à définir dans ses fondements philosophiques et dans ses implications pratiques, sinon autant dire qu’il s’agit d’un autre parti à prétention démocratique, comme tous ceux de plus en plus nombreux qui n’ont de la démocratie que le nom.
Mais le plus curieux dans le nouveau projet de Chebbi, c’est les raisons et l’explication qu’il donne :
1 – Il s’agirait d’abord d’une structure pour jeunes de 35 à 45 ans n’ayant aucune expérience politique mais dotés d’une ambition politique certaine. Dans ce cas, que feraient, dans une telle structure, Néjib Chebbi et Afif Hendaoui tous deux largement à la retraite ? Ensuite, comment va s’organiser ce concours d’entrée sur la base de l’inexpérience politique ? Et les deux parrains vont-ils faire œuvre de recruteurs puis d’éducateurs politiques pour novices et incompétents ? Trop de non-dits qui sonnent comme des sous-entendus pouvant provoquer de sérieux malentendus !
2 – Ce nouveau mouvement, nous dit Chebbi, est motivé par l’absence en Tunisie de dirigeants ayant une vraie vision. Cela veut-il dire que lui en a ? Si c’est le cas, il serait bien le seul et il serait alors supérieur aux Tunisiens – des inconscients et des ignorants ? – qui seraient incapables de déceler en lui la compétence dont eux et le pays auraient besoin ! Mais s’il n’a pas de vision, lui non plus, de quelle légitimité il se prétendrait pour lancer son initiative prétendant instaurer La Nouvelle démocratie ?
3 – Chebbi dit enfin que son mouvement ne sera pas en rupture avec le gouvernement, mais qu’il adopterait une attitude critique. Cela veut dire donc que les dirigeants de ce gouvernement ont bel et bien une vision, surtout que selon lui le système politique ne pose pas problème, sinon qu’est-ce qu’il approuverait ou qu’il critiquerait dans leur mode de gouvernance ?
Beaucoup d’approximation et de données peu convaincantes, M. Chebbi, dans votre initiative. C’est à en deviner déjà l’issue.

Mansour Mhenni