Les créanciers du producteur franco-tunisien ont saisi ses comptes en banque, son appartement de Val d’Isère, et les oeuvres d’art de sa maison parisienne, mais pas la maison-elle même, détenue par l’intermédiaire d’une cascade de holdings luxembourgeoises et néerlandaises.
Il est rarissime de voir un huissier procéder à une saisie dans l’univers calme et feutré de ce carré huppé du 16ème arrondissement de Paris où les voisins s’appellent Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère ou Alain Afflelou. Mais, le 12 décembre 2019, un huissier s’y est aventuré pour venir frapper à la porte de Tarak ben Ammar. Notre homme est un producteur de cinéma franco-tunisien, qui a notamment produit la Vie de Brian des Monthy Python, Pirates de Roman Polanski, les Morfalous d’Henri Verneuil, Deux heures moins le quart avant Jésus Christ de Jean Yanne, plusieurs films de Franco Zeffirelli (la Traviata, Jésus de Nazareth…) mais aussi de Philippe Clair (Plus beau que moi tu meurs…). C’est dans dans ses studios tunisiens qu’ont été tournés les Aventuriers de l’arche perdue et la Guerre des étoiles. Neveu de la seconde épouse de l’ancien président tunisien Bourguiba, il a aussi été le manager de Michael Jackson. Il a été associé en affaires avec TF1, Rupert Murdoch, Luc Besson, Mel Gibson, Harvey Weinstein, mais aussi le Qatar et la Libye (sous Kadhafi), ou encore Silvio Berlusconi. « Tarak est comme un frère pour moi. On partage les mêmes valeurs », confiait il y a quatre ans l’ancien président du conseil italien au Journal du dimanche.
Dans les années 2000, Tarak ben Ammar s’est aussi lancé dans la post-production de films, devenant rapidement le leader français en rachetant plusieurs sociétés spécialisées dans le tirage de copies argentiques (Eclair), les effets spéciaux (Duran, Duboi…), et les regroupant dans une holding baptisée Quinta Industries (QI). Mais l’aventure a tourné à la berezina : la projection de films est passée au numérique, ce qui a tué les copies argentiques. Fin 2011, QI a été liquidée, laissant un passif de 45 millions d’euros. La justice ayant relevé plusieurs irrégularités dans cette faillite, Tarak ben Ammar et sa société de production Quinta Communications ont été condamnés à payer 3,5 millions d’euros pour combler le passif. Le liquidateur de QI Patrick Legras de Grandcourt ne voyant pas venir son argent, a donc envoyé les huissiers saisir les oeuvres d’art et les meubles de la demeure de Tarak ben Ammar, richement décorée dans un style oriental. La centaine d’objets d’art qui ornent les murs est estimée à 1,8 million d’euros. Il y a quelques années, notre homme exhibait notamment un tableau de Francis Bacon accroché au mur. Fort aimable, l’huissier s’est contenté de procéder à une saisie conservatoire, c’est-à-dire qu’il a recensé le mobilier mais l’a laissé en place.
Furieux, Tarak ben Ammar a fait appel de cette saisie. Il a argué ne pas être propriétaire ni de la maison, ni du mobilier, qui appartiennent l’un comme l’autre à une holding luxembourgeoise baptisée Hambleton Hall SA. La justice a alors cherché à savoir qui se cachait derrière cette holding. Lors de sa création en 1997, elle appartenait à une société panaméenne, Larkhall International Corp, et à une autre immatriculée aux îles Vierges britanniques, Decker Overseas Inc. A partir de 2010, la société luxembourgeoise est devenu la propriété d’une autre holding luxembourgeoise, Promotions et participations international SA, appartenant elle-même à une société néerlandaise, Holland co-ordinator and service co, détenue par…. Tarak ben Ammar.
Cette découverte n’a pas été du goût de la justice. Pour le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, ”M. ben Ammar dissimule la réalité de sa situation patrimoniale. […] M. ben Ammar est non seulement le bénéficiaire économique de l’ensemble immobilier dans lequel la saisie a été pratiquée, mais aussi le véritable propriétaire des meubles saisis en cause. Le contrat de bail liant M. ben Ammar à la société luxembourgeoise Hambleton Hall procède d’un montage patrimonial d’allure frauduleuse, ici utilisé pour tenter de soustraire une partie de ses biens aux poursuites du créancier”. Dans son jugement, le juge de l’exécution pointe même une “collusion frauduleuse” entre Tarak ben Ammar et sa holding luxembourgeoise Hambleton Hall, qui “démontre la volonté de M. ben Ammar” de ne pas payer sa dette. En juin, il a donc condamné Tarak ben Ammar à payer une amende de 8.000 euros pour procédure abusive, 1.000 euros de dommages et intérêts, et 7.000 euros de frais de procédure -un jugement dont notre homme a fait appel.
Au passage, l’affaire a révélé le montage d’optimisation fiscale mis en place par le producteur concernant le paiement du loyer de 15.000 euros par mois. De 1999 à 2015, ce loyer n’était pas payé par Tarak ben Ammar, mais par ses sociétés de production Carthago Films puis Quinta Communications. En effet, l’homme d’affaires arguait que sa demeure avait un usage professionnel, car elle était utilisée pour “servir à des opérations de relations publiques et à l’accueil de personnalités du cinéma”. Ce montage a fait l’objet d’un redressement fiscal en 2004. En effet, le fisc a considéré que le paiement du loyer par les sociétés de production devait être considérée comme une sorte de rémunération reçue par Tarak ben Ammar -un “avantage en nature”, dans le jargon comptable. L’administration fiscale a alors décidé que Tarak ben Ammar devait payer des impôts sur 55% du loyer.
Le liquidateur aurait bien aimé saisir la maison elle-même, mais il n’a pas pu, étant donné qu’elle appartient à la holding luxembourgeoise Hambleton Hall. Dommage pour lui, car la demeure (précisément deux maisons contiguës entourées d’un vaste jardin) vaut bien plus que les oeuvres d’art. Elle a été achetée par Hambleton Hall en 1997 pour 3 millions d’euros, mais elle en vaut bien plus aujourd’hui. Il y a trois ans, la maison d’en face, d’une superficie comparable, a été vendue pour 26 millions d’euros… Tarak ben Ammar a expliqué avoir choisi de s’installer dans cette demeure en 1999 “par hasard”, pour être proche de ses amis Gérard Depardieu et Carole Bouquet…
Faute de pouvoir saisir la maison, le liquidateur s’est rabattu sur un appartement à Val d’Isère, détenu cette fois en propre par Tarak ben Ammar, sur lequel il a procédé à une “hypothèque conservatoire”. L’appartement, acheté 1,5 million d’euros en 2002, a été estimé par un agent immobilier à 3,75 millions en 2018. En février, Tarak ben Ammar a fini par donner un mandat de vente pour un prix net vendeur de 3,8 millions.
Le liquidateur a aussi voulu procéder à une “saisie attribution” sur le compte bancaire de Tarak ben Ammar à la banque Neuflize OBC, mais il a fait chou blanc : le compte était à découvert de plus de 2 millions d’euros…
Les malheurs de Tarak ben Ammar ne s’arrêtent pas là. Suite à la faillite de QI, il a aussi été condamné à une interdiction de gérer d’une durée de trois ans. Il a dû céder la direction de sa société de production Quinta Communications à son fils Jad. Il a dû aussi abandonner ses mandats de membre du conseil de surveillance d’Euronews et de Vivendi, où l’avait fait entrer son vieil ami Vincent Bolloré. Là encore, le producteur a contesté cette sanction, et a obtenu en partie satisfaction : le 8 janvier, la cour de cassation a jugé que l’interdiction de gérer ne devait pas s’appliquer aux conseils de surveillance.
Mais ce n’est pas tout. Le liquidateur a aussi signalé les irrégularités de la faillite de QI au parquet de Nanterre. Cela a conduit à la mise en examen de Tarak Ben Ammar en 2015 pour « faux », « usage de faux » et « banqueroute » -délit aussi connu sous le nom de faillite frauduleuse. Mais il conteste cette mise en examen devant la chambre de l’instruction.
Parallèlement, sa société de production Quinta Communications a été condamnée à payer 10 millions d’euros supplémentaires pour combler le passif de QI. Incapable de faire face, Quinta Communications a déposé le bilan en 2018. Elle vient de sortir du redressement judiciaire, le tribunal de commerce ayant accepté le 1er octobre le plan de redressement proposé, malgré l’opposition du liquidateur de QI. Ce plan prévoit le remboursement sur dix ans des 14 millions d’euros de passif. Désormais baptisée Bleufontaine et dirigée par son fils Jad, la société entend reprendre la production de films.
Face à ces difficultés, Tarak Ben Ammar a été surtout actif ces dernières années hors de l’Hexagone. Via sa société italienne Eagle Pictures, il a co-produit la série La vérité sur Harry Quebert, diffusée sur TF1 à l’automne 2018, puis Soeurs d’armes, film réalisé par Caroline Fourest et produit par son fils Jad, mais qui a fait un flop : seulement 84.778 entrées pour un budget de 4,8 millions d’euros.
Contactés, Tarak ben Ammar et son avocat Julien Andrez indiquent que le producteur a enfin commencé à s’acquitter de sa dette de 3,5 millions d’euros, en effectuant de premiers versements d’un montant non précisé. Tarak ben Ammar ajoute qu’il n’a pas été mis en cause à titre personnel dans la faillite de QI, mais uniquement parce qu’il représentait Quinta Communications au conseil d’administration de QI. Surtout, il estime que la faillite de QI est avant tout due à Technicolor, qui détenait 17,5% du capital de QI avec une option pour racheter le solde. Technicolor n’a jamais exercée cette option, mais, après la faillite, a racheté une large partie des actifs de QI à la barre du tribunal de commerce de Nanterre pour une bouchée de pain (moins d’un million d’euros). Tarak ben Ammar a alors porté plainte au pénal contre Technicolor, ce qui a abouti en décembre 2019 à la mis en examen de Technicolor et de son ancien directeur général Frédéric Rose pour « abus de confiance » et « escroquerie au jugement ». Parallèlement, Quinta Communications a attaqué Technicolor devant le tribunal de commerce de Nanterre, réclamant 62 millions d’euros de dommages.
Illustration haut de page par la rédaction: Tarek Ben Ammar à gauche avec ses associés: le tunisien Nabil Karoui ( au milieu ) et l’italien Silvio Berlusconi
Source : capital.fr