Soudan : le procès de l’ancien président Omar el-Béchir repoussé au 11 août

Un tribunal soudanais a repoussé mardi au 11 août le procès de l’ex-président soudanais Omar el-Béchir et de 28 de ses anciens collaborateurs, juste après l’ouverture de l’audience à Khartoum, la capitale du pays.

L’ex-président soudanais Omar el-Béchir a comparu mardi devant la justice à Khartoum aux côtés de 27 autres accusés. Tous risquent la peine de mort pour le coup d’État perpétré en 1989. Faute de place, le procès a été ajourné au 11 août.

Emad-Eddin Mohamed Ibrahim, juge de la Cour suprême, a expliqué ce report par le fait que la salle d’audience n’était pas en mesure d’abriter tous les avocats des accusés.

Il est reproché à M. Béchir et ses coaccusés d’avoir pris le pouvoir par un coup d’Etat militaire le 30 juin 1989.

En mai, le parquet général avait annoncé avoir terminé son enquête sur ce putsch qui avait porté Omar el-Béchir au pouvoir, renversant le gouvernement élu dirigé par Sadeq al-Mahdi.

Le 11 avril 2019, l’armée soudanaise a destitué M. Béchir au terme de plusieurs mois de manifestations populaires de masse

La première audience n’a duré qu’une heure car la salle n’a pu accueillir tous les protagonistes. La cour spéciale formée de trois juges a fixé au 11 août la prochaine audience. L’ex-autocrate âgé de 76 ans et 27 autres accusés étaient regroupés dans des cages, ainsi que les anciens vice-présidents Ali Osman Taha et le général Bakri Hassan Saleh. Parmi eux figurent des militaires et des civils.

« Un immense procès »

Des mesures de sécurité exceptionnelles ont été prises pour éviter tout incident. Les familles des accusés, venues en nombre, ont crié à l’arrivé des fourgons cellulaires « Allah Akhbar ». Omar el-Béchir, en pantalon et chemise beige, portait un masque et des gants et s’est caché le visage devant les photographes. Il n’a fait aucune déclaration.

« C’est un immense procès qui s’ouvre et il est surprenant de voir que le Soudan se donne une ambition aussi gigantesque avec aussi peu de préparation, estime Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du Soudan. Je doute qu’il y ait eu une instruction suffisante avec de nombreux témoins pour répondre aux nombreuses questions que les Soudanais se posent. Ils ont subi ce régime durant trente ans. Une justice expéditive risque d’engendrer de nombreuses frustrations. »

Un procès inédit, historique, hors normes

Ce procès a tout de même le mérite d’être inédit à bien des égards. D’abord parce que jamais dans l’histoire récente du monde arabe, l’auteur d’un putsch réussi n’a été jugé. Ensuite parce qu’Omar el-Béchir sera jugé par une cour spéciale composée de trois juges. Enfin, le procès s’annonce hors normes par l’ampleur de sa défense : pas moins de 191 avocats défendront les accusés.

Dans le box des prévenus, un grand absent à signaler : le cerveau du coup d’État, l’islamiste Hassan al-Tourabi, longtemps mentor de Béchir, mort en 2016. Mais pour Marc Lavergne, il y a de nombreux autres absents. « Omar el-Béchir n’a pas été le décideur du coup d’État. Il s’agissait d’une conspiration collective. Il était d’ailleurs pris pour un imbécile à ses débuts. Une cinquantaine de personnes faisaient tourner son régime. Tous étaient des décideurs. Parmi eux des idéologues, des militaires ou des policiers qui ne semblent pas être inquiétés aujourd’hui. Cela donne le sentiment que l’on bazarde l’histoire sous le tapis. »

Ce procès est « un avertissement »

Le procès d’Omar el-Béchir et de 27 co-accusés intervient alors que le gouvernement de transition post-révolutionnaire du Soudan a lancé une série de réformes dans l’espoir de rejoindre pleinement la communauté internationale. Mais d’aucuns s’interrogent sur la temporalité de ce procès. « Le pays connait une situation de grande pauvreté aggravée par la crise sanitaire du Covid-19 et on peut de demander si le gouvernement soudanais n’a pas d’autres priorités à l’heure où il tente de négocier avec les mouvements rebelles des États du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu. »

Ce n’est pas l’avis des avocats des parties civiles. Dans un pays qui a connu trois coups d’État depuis son indépendance en 1956 – celui du général Ibrahim Abboud (1959-1964), puis celui mené en ma 1969 par le colonel Gaafar Mohammad Nimeiri, au pouvoir jusqu’en 1985, et enfin le coup d’État d’Omar el-Béchir –, il semble au contraire nécessaire de juger les putchistes pour dissuader les ardeurs d’éventuels frondeurs. « Ce procès sera un avertissement à toute personne qui essaiera de détruire le système constitutionnel et sera jugée pour ce crime. Cela sauvegardera la démocratie soudanaise. Nous espérons ainsi clore l’ère des putschs au Soudan », a plaidé Moaz Hadra, un des avocats à l’origine de la procédure contre le dictateur déchu.

« Un procès politique »

Sans surprise, la défense dénonce pour sa part « un procès politique qui se cache derrière la loi. Ce procès va se dérouler dans un environnement hostile de la part du système judiciaire envers les accusés et nous pourrons le prouver ». Parallèlement, le juriste met également en avant le bilan politique d’Omar el-Béchir, qui a signé en 2005 un accord de paix avec les rebelles du Sud cautionné par l’ONU, la Ligue arabe, l’Union européenne et l’Union africaine. Enfin, la défense estime que le procès n’a pas lieu d’être car les faits se sont déroulés il y a plus de 10 ans.