Le weekend dernier, un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé pour interrompre une sorte de rave party BCBG qui se tenait à Kalâa Kebira (Sousse). C’est la sous-unité de lutte contre les stupéfiants d’El Gorjani (Tunis) qui a pris d’assaut l’espace touristique qui accueillait les fêtards. Des diplomates, des étrangers et des jeunes issus de la bourgeoisie soussienne y participaient.
L’absence de l’autorisation prévue à cet effet et la présence de stupéfiants et de « conduites immorales » que les autorités n’ont pas hésité à qualifier de bagha (prostitution) seraient à l’origine de la descente de police. En vérité, je pense que ce n’est pas la drogue qui a dérangé la police et la justice, et encore moins l’organisation de cette fête sans autorisation, mais la liberté des mœurs qui régnait dans cet espace.
En effet, la drogue est omniprésente en Tunisie, des lieux les plus sordides perdus dans les faubourgs urbains aux quartiers résidentiels les plus chics de la banlieue de Tunis. Quant à l’autorisation, les autorités se contentent, depuis très longtemps, de gémir et de battre leur coulpe devant les monstruosités qui s’érigent et se pratiquent quotidiennement sans autorisation et dans l’impunité la plus totale.
L’Etat tunisien est, avant toutes choses, un garde-fou d’un certain conservatisme culturel et social de la société tunisienne. Si la société se met à vouloir changer, à aller vers une rupture des liens familiaux ou vers une sexualité plus ouverte (celle-ci est le pire des cauchemars qu’un quidam tunisien pourrait imaginer !), là, les autorités interviendront à coup sûr et constitueront un frein à toute évolution de ce genre.
En réalité, et qu’on le veuille ou non, les autorités sont à l’image du conservatisme de la société tunisienne. La société est très conservatrice. Elle craint la disparition des tabous sexuels et du contrôle strict sur les corps, elle a une peur bleue de l’émancipation des corps et des plaisirs. Et l’Etat n’a d’autre programme que d’empêcher la société, notamment les plus jeunes, de se libérer du conservatisme social ; c’est son seul programme.
Sous-prétexte de défendre l’islam, la morale religieuse et les bonnes mœurs, nos flics consacrent le plus clair de leur temps à jouer aux agents du Comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice (la Mutawaa) et, en parfaite connivence avec la justice, s’évertuent à juguler toute vague émancipatrice.
L’Etat tunisien, quant à lui, contamination de l’idéologie islamiste aidant, infiltration islamiste au sein du ministère de l’Intérieur et islamisation de l’appareil judiciaire aidant, demeure familialiste et très conservateur, pour ne pas dire arriéré et liberticide.
Les nouveaux maîtres du pays ont toujours eu les yeux rivés sur cet Orient moyenâgeux et viscéralement hostile au mode de vie occidental. Ils sont dans une logique civilisationnelle et mettent à contribution l’appareil de l’Etat dans leur guerre contre les jeunes qui font fi des interdits moraux et religieux et au comportement sexuel libre.
Ainsi, l’Etat, en pratiquant la répression sexuelle et la chasse aux lieux où s’épanouissent librement les désirs des jeunes et des moins jeunes, est en phase avec une très grande partie de la population tunisienne. Décidément, le conservatisme pathologique qui a gâché la jeunesse des générations précédentes ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, il est bien résolu à pourrir la vie de la jeune génération actuelle.
Pierrot LeFou