Les protestations se poursuivent à travers les États-Unis après le meurtre d’un afro-américain par des officiers de police de Minneapolis.
Après une autre nuit de troubles, pillages et affrontements avec la police dans les villes américaines, les manifestations antiracistes ont repris mardi aux Etats-Unis, où le ton martial de Donald Trump, déterminé à restaurer l’ordre en recourant si besoin à l’armée, fait de nouvelles vagues.
Les couvre-feux dans de nombreuses villes ont été largement ignorés. Par ailleurs, les affrontements se sont poursuivis entre les manifestants et les forces de l’ordre, constituées par la police et la Garde nationale. La police a également utilisé des grenades aveuglantes pour disperser les manifestants à Seattle. Des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc ont été utilisés à Minneapolis et dans d’autres villes. La Garde nationale du Minnesota a été activée pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, a justifié son déploiement : « Nous demandons simplement de la coopération pour nous aider à rétablir l’ordre dans nos rues, et faire comprendre que la force qui est sur le terrain est là pour le long terme. Qu’il ne s’agit pas d’un endroit où la violence peut éluder ou diluer le message qu’il y a du travail à faire autour des injustices raciales. Nous avons du travail pour rendre justice à George. »
Plusieurs milliers de manifestants, noirs et blancs, se sont retrouvés pour protester pacifiquement à Manhattan, près du siège de la police new-yorkaise, en scandant « George Floyd, George Floyd » ou encore « Black Lives Matter ! » (« la vie des Noirs compte »), cri de ralliement contre les violences policières visant les Afro-Américains.
« Ce n’est pas seulement un homme innocent tué. Ce n’est pas seulement la brutalité policière », s’insurge un étudiant en histoire de l’art qui préfère taire son nom. « Le simple fait que si vous n’êtes pas blanc vous ne vous sentez pas respecté dans ce pays, c’est frustrant, c’est rageant », poursuit-il en réclamant des changements structurels.
« Le battre en novembre »
Un peu plus loin, Nat Hooper, un libraire noir de 27 ans, dénonce la menace de Donald Trump de déployer l’armée pour mater la rue.
« Il faut le battre en novembre », lance-t-il, alors que la question raciale fait irruption dans la bataille pour la Maison Blanche à cinq mois de l’élection présidentielle. « La plupart d’entre nous manifestent pacifiquement, nous voulons seulement du changement. »
Si Minneapolis, épicentre de cette nouvelle flambée de colère, a passé une nuit relativement calme, les troubles ont continué de se propager pour la septième nuit consécutive, touchant au moins 140 villes américaines, avec des centaines d’arrestations et plusieurs blessés dans les rangs des forces de l’ordre comme des manifestants.
A New York, plusieurs grands magasins de la célèbre 5e Avenue, au coeur de Manhattan, ont été pillés lundi soir. Le couvre-feu nocturne instauré lundi a été prolongé jusqu’à dimanche, et son entrée en vigueur avancée à 20H00.
Les pillages ont été jugés « inexcusables » par le gouverneur de l’Etat de New York, Andrew Cuomo. Tout en critiquant le maire et la police, il a refusé de mobiliser la Garde nationale, comme l’ont fait d’autres villes et comme le réclame Donald Trump.
Dans une allocution musclée, le président des Etats-Unis avait annoncé lundi soir le déploiement de « milliers de soldats lourdement armés » et policiers à Washington pour mettre fin « aux émeutes » et « aux pillages ». Et il avait appelé les gouverneurs à « dominer les rues » tout en menaçant d’envoyer l’armée « pour régler rapidement le problème à leur place » s’ils n’agissaient pas selon ses directives.
Juste avant son discours, les forces de l’ordre avaient dispersé à coups de gaz lacrymogènes de nombreux manifestants des abords de la Maison Blanche pour permettre ensuite au président de se rendre à pied devant une église emblématique dégradée la veille.
« Domination » et « force écrasante »
Des manifestants ont néanmoins bravé le couvre-feu nocturne instauré dans la capitale fédérale, où des incidents ont encore été rapportés et où la police a arrêté plus de 300 personnes.
Mardi, un milliardaire républicain a estimé que Washington n’avait connu « aucun problème la nuit dernière », et a assumé le positionnement de « président de la loi et de l’ordre » affiché la veille.
« Beaucoup d’arrestations. Tout le monde a fait du bon boulot », s’est-il réjoui, avant de vanter la « force écrasante » et la « domination ».
La maire de Washington Muriel Bowser a protesté contre l’envoi des militaires « dans les rues américaines contre les Américains », une attaque reprise par de nombreux gouverneurs démocrates.
Car la crise, dans un pays déjà extrêmement divisé, prend une tournure de plus en plus politique.
Trump a transformé le pays « en champ de bataille »
Le candidat démocrate à la présidentielle du 3 novembre, Joe Biden, a accusé mardi Donald Trump d’avoir « transformé ce pays en un champ de bataille miné par de vieilles rancunes et de nouvelles peurs ».
Lors d’un déplacement à Philadelphie, il a promis de « guérir les blessures raciales qui meurtrissent notre pays depuis si longtemps ».
Face aux protestations, qui interviennent dans des Etats-Unis où les inégalités sociales et raciales sont déjà exacerbées par la pandémie de Covid-19, Donald Trump est resté silencieux jusqu’ici sur les réponses aux maux dénoncés par les manifestants.
Et n’a que très brièvement évoqué la « révolte » des Américains face aux conditions de la mort de George Floyd.
Cet homme de 46 ans est décédé le 26 mai en répétant « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer »), gisant par terre, menotté et avec le cou sous le genou d’un policier, dont les collègues sont restés passifs.
Les autopsies ont confirmé que la mort était due à la pression létale au niveau de son cou.
L’auteur de la bavure, l’agent Derek Chauvin, a été licencié par la police puis arrêté et inculpé, sans que cela calme les esprits.
L’Europe choquée
L’Europe est « choquée » par la mort de George Floyd, résultat d’un « usage excessif » de la force policière qui doit être condamné, a affirmé mardi le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
« Ici en Europe, tout comme le peuple américain, nous sommes choqués et atterrés par le décès de George Floyd », a répondu M. Borrell, interrogé à ce propos au cours d’une conférence de presse.
Il a appelé à faire preuve de vigilance face à un « usage excessif de la force » comme cela a été le cas dans le décès, lundi 25 mai dernier à Minneapolis, de ce Noir américain de 46 ans non armé, après qu’un policier blanc s’est agenouillé sur son cou pendant plus de huit minutes.
« Un abus de pouvoir »
« C’est un abus de pouvoir, cet acte doit être dénoncé et combattu, ici, aux Etats-Unis, partout », a ajouté l’Espagnol. M. Borrell a insisté sur le droit de manifester pacifiquement, alors que les actions de protestation, certaines violentes, se multiplient depuis une semaine aux Etats-Unis, et que des manifestations ont eu lieu aussi en Europe.
« Nous condamnons tout acte de violence et de racisme et appelons à la désescalade des tensions. Nous sommes confiants dans la capacité des Etats-Unis à se rassembler et à répondre à cette problématique importante en ces temps difficiles », a ajouté le Haut représentant. « Toutes les vies sont importantes, les vies noires aussi », a martelé Josep Borrell.
Désordres civils les plus graves
Les manifestations pacifiques aux États-Unis sont « compréhensibles et plus que légitimes » après la mort de George Floyd, a estimé mardi le ministre allemand des Affaires étrangères.
Pour nous […] la règle est que la protestation pacifique doit toujours être possible, mais elle doit être pacifique, a déclaré Heiko Maas à Berlin, lors d’une conférence de presse avec son homologue ukrainien, Dmytro Kuleba.
« Je veux également dire mon espoir que ces manifestations pacifiques ne conduiront pas à de nouvelles violences et, plus encore, mon espoir que ces manifestations rendront les choses différentes aux États-Unis », a ajouté M. Maas, interrogé par les journalistes sur les manifestations dans de nombreuses villes américaines, une semaine après la mort de George Floyd lors d’une intervention policière à Minneapolis.
« La mobilisation pacifique à laquelle nous assistons aux États-Unis, avec d’ailleurs de nombreux gestes très émouvants de la part de policiers américains, est compréhensible et plus que légitime. » Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères
Le ministre a également prévenu que ses services allaient contacter leurs homologues américains pour connaître les circonstances exactes après qu’un reporter du média allemand Deutsche Welle a été mis en joue par des policiers à Minneapolis alors qu’il couvrait une manifestation.
« Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail sans risque pour leur sécurité », a fait valoir M. Maas, pour qui « les États démocratiques doivent appliquer les normes les plus élevées en matière de protection de la liberté de la presse ».
Donald Trump a promis de restaurer l’ordre aux États-Unis, en proie à un déversement de colère historique, menaçant de déployer l’armée pour faire cesser les violences.
Le président américain est confronté aux désordres civils les plus graves de son mandat alors que des centaines de milliers d’Américains protestent contre les brutalités policières, le racisme et les inégalités sociales, exacerbées par la crise de la COVID-19.
Avec agences