
Mansou Mhenni
N’est-ce pas étonnant, ce comportement de nos hommes politiques qui ne cessent de brandir le spectre d’Ennahdha et d’en amplifier l’image terrifiante pour justifier leur impuissance à mobiliser assez de citoyens autour de leurs propres images, au lieu d’offrir des programmes crédibles et innovants et d’avancer assez d’arguments de la pertinence et de l’altruisme de leurs démarches respectives ?
Il est vrai que le parti (de référence) islamiste, même nouvellement formaté à la logique historique et à la notion de progrès d’après sa récente littérature, peut constituer une menace toujours poignante à la démocratie civile et à l’Etat laïque. Sans doute pas une menace aussi violente, aussi extrémiste et aussi passéiste que celle de sa première constitution en tant que mouvement religieux et politique, mais une menace quand même venant de plus en plus de son infiltration pernicieuse dans les structures les plus sensibles de la société et dans les rouages moteurs de l’Etat pour inscrire de façon indélébile leur effet sur la mentalité et les sentiments des citoyens.
On l’a souvent dit, le mouvement Ennahdha se sert au mieux des moyens et des tactiques dont il dispose, plus efficacement que l’ancien RCD dont il s’est amplement inspiré, agissant au croisement de l’idéologique et du cultuel (présentés comme culturels), pour conforter son pouvoir, désormais bien en place, pour le consolider au plus fort et pour l’étendre aussi largement que possible. Mais à bien analyser la situation, n’est-ce pas de la stratégie politique pour un parti que d’essayer de gagner le plus d’espace, le plus de gens et le plus de pouvoir ? N’est-ce pas à ses concurrents de l’empêcher d’en abuser par une action efficace à même de contrer son hégémonisme et sa course vers un quelconque absolutisme ?
De ce point de vue, la vraie question de nos politiques devrait être celle de savoir comment gagner, sur le terrain, pratiquement et efficacement, l’adhésion citoyenne à un programme fédérateur d’équilibrage politique pour sauver la dynamique de démocratisation. Hélas, depuis qu’Ennahdha est au pouvoir, directement ou indirectement, la seule démarche qui ait relativement réussi à contrer sa ruée envahissante, c’était l’initiative de Béji Caïd Essebsi et du mouvement Nidaa Tounès qui en est né. Malheureusement, le spectacle actuel de ce dernier est d’une telle désolation qu’il prête au désespoir.
Autour de lui, plusieurs petitesses, au sens de poids politiques, s’agitent et discourent sans un vrai impact et sans une feuille de route collectivement coordonnée et savamment conduite. Nous voyons des personnalités toujours malades de leurs seules ambitions personnelles, se cognant la tête telles des chauves-souris aux murs pourris d’une chambre obscure, incapables de mobiliser plus que quelques citoyens perdus dans un désert politique qui ne leur offre aucune sortie rassurante.
Pendant ce temps-là, des associations caritatives sont déployées dans tous le pays pour répondre à des demandes ou à des attentes citoyennes au nom des valeurs religieuses, avec parfois des moyens inimaginables, en vertigineux déséquilibre avec les moyens des associations culturelles et scientifiques. Pour qui voteront demain ces petites gens, sinon pour le parti qui leur rappellera à temps ces valeurs comme le support d’un programme politique et qui superposera ses objectifs à la consécration de ces valeurs ? Car aujourd’hui le scénario de 2011 peut se reproduire par un juste changement du slogan « les gens qui craignent Dieu », par le slogan « les gens qui servent Dieu en servant les croyants ».
La raison dicterait donc à nos politiciens sincères et un tant soit peu désintéressés de se regrouper, en tant que masse et non en tant que personnes, autour d’objectifs et de programmes fédérateurs, spécifiques à leur action concertée et coordonnée, indépendamment même d’Ennahdha en tant que monstre à faire peur, mais en tant qu’adversaire politique à vaincre par les moyens de la démocratie. Car difficile aujourd’hui de se débarrasser d’Ennahdha en en faisant un ennemi politique, tout au plus peut-on limiter sa force et son impact en n’en faisant qu’un adversaire politique.
Mansour M’henni