Il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’il serait advenu du viatique de popularité du président de la république, déjà largement écorné par ses hallucinantes billevesées et ses promesses de gascon, si, la rue donnant les signes d’un embrasement général prochain, il n’avait essayé tel soir de se reprendre au contact d’une foule de citoyens angoissés qu’il était lui-même descendu chercher.
C’était trop tard quoique ce ne pouvait être l’unique motif du geste car ici, nous ne sommes plus dans un café ou une boulangerie de M’nihla mais sur l’avenue Habib Bourguiba qu’il est imprudent de confondre avec une portée musicale dans les lignes de laquelle l’on s’aviserait d’écrire des variations sur un thème populiste. Comme tout ou presque tout est faux dans ce pays et que l’on en est réduit à décrypter, l’image s’impose à l’esprit d’un président perdu, hagard, secoué par la peur d’une destitution dont l’idée a pris son chemin et auquel il n’était resté qu’à plaider, en y mettant les formes d’une reddition, devant le ministre par intérim de l’intérieur et ses collaborateurs, la bonne foi des manifestants, essayer d’arrondir les angles en somme.
Je souhaiterais que soient oubliés, tant ils sont étrangers aux comportements collectifs des tunisiens, les slogans orduriers adressés quelques heures plus tôt aux agents de la sécurité publique par quelques groupes visiblement préconstitués de voyous. Il est à craindre cependant que derrière tout cela ne se profile le spectre d’un autre type de confrontation sur lequel le raidissement apparent, peut-être même ostentatoire, du mouvement islamiste dit « ennahdha » appelle à porter la plus grande attention. En effet, il y avait à se demander, comme ce fut mon cas, quelle mouche a piqué le président de la république pour lui faire marteler le rappel de sa qualité de commandant suprême des forces armées militaires, un pléonasme qui ne devait échapper à personne, s’il n’y avait ajouté « les forces armées civiles » sinon pour préciser, à l’intention de qui serait tenté de lui disputer ces dernières, l’étendue de ses attributions sécuritaires. A un degré de démonstration jamais atteint auparavant, sans nul besoin ou intention d’intimider un parlement en majorité acquis et faisant figure de maître d’œuvre, le déploiement immédiat autour de ses murs d’un dispositif de répression de masse incommensurablement fourni et flambant neuf ne pouvait avoir de sens que celui d’apporter la réponse du chef du gouvernement au susdit rappel.
Jusqu’ici, il n’y aurait pas eu lieu de s’alarmer si, dans le même temps et nécessairement sous la dictée et à l’instigation des mêmes forces obscures, ne s’étaient fait entendre publiquement, à Sfax, les propos takfiristes que l’on n’attendait pas d’officiers de police et les explosions de mines qui dans les djebels de Kasserine et du Kef ont fauché cinq vies, militaires en l’occurrence. Dans ce qui se passe en Tunisie, il n’y a plus de place au hasard.
Abdessalem Larif