Le 1er juin 1955 , ma première école buissonnière

Ce jour là j’avais décidé de ne pas aller en classe, la 1ère B à l’Ecole Franco-Arabe de La Marsa où, Monsieur George Hirsch, un poète, auteur d’un recueil célèbre « Combats Premiers » m’enseignait le français. Seul, de bonne heure, à pied, j’ai pris la route de Carthage par El M’ealga. Une fois arrivé, j’ai eu grand peine à me frayer mon chemin dans une foule compacte bordant toute l’esplanade qui mène au Palais Beylical, aujourd’hui Beit El Hikma, et trouver un endroit d’où je pouvais espérer, malgré ma petite taille, apercevoir Bourguiba quand il quitterait ledit palais au terme d’une visite au Bey qui se prolongeait insupportablement. Enfin, annoncé par une immense vague d’acclamations, je le vis avancer très lentement, entouré d’une marée humaine en extase, donnant de la voix comme je ne l’ai jamais entendu depuis. La réalité et l’imagination perdirent alors pour moi toute signification tant elles se mélangèrent dans l’image de l’homme à cheval, coiffé d’un large chapeau à plumes, qui semblait planer au dessus de tout comme dans un rêve. Deux mois plus tôt, mon regretté père eut l’honneur de recevoir à dîner dans la maison que nous occupions à Marsa-Cubes plus de cinquante résistants descendus des djebels, fêtés en l’occasion par tous les membres de la cellule destourienne dont feu Taieb M’hiri. Une soirée mémorable. Que Dieu entoure de son infinie miséricorde toutes celles et tous ceux qui ont quitté ce monde avec la Tunisie plein le cœur.

Abdessalem Larif