Depuis plus d’un an, l’avocate et journaliste tunisienne Sonia Dahmani est incarcérée pour avoir exercé sa liberté d’expression. Son cas s’inscrit dans un contexte plus large de répression politique et de rétrécissement des libertés fondamentales en Tunisie mettant fin aux rares avancées conquises pendant la décennie 2010 et à la suite du « printemps arabe ». Face à l’urgence de sa situation, la mobilisation internationale reste, pour l’heure, insuffisante.
Sonia Dahmani, le visage de la répression politique en Tunisie
Sonia Dahmani, avocate et journaliste tunisienne, est incarcérée dans le cadre de deux affaires depuis plus d’un an pour « diffusion de fausses nouvelles ». Elle fait en outre l’objet de trois autres chefs d’accusation, tous étroitement liés à l’exercice de sa liberté d’expression.
Sa situation s’inscrit dans un contexte de répression politique orchestrée par le président en exercice, Kaïs Saïed, qui semble vouloir faire d’elle un exemple dissuasif afin d’instiller la peur parmi les journalistes et les avocats.
Aujourd’hui, Sonia Dahmani est détenue dans des conditions que la Cour européenne des droits de l’homme elle-même qualifierait d’inhumaines et dégradantes. Privée de mouvement, de soins médicaux, de chaleur comme de fraîcheur, elle survit dans un environnement conçu pour briser les corps et les esprits. Laisser perdurer une telle situation revient à condamner cette femme à une mort lente. L’urgence est juridique, politique mais avant tout humaine.
Genèse de l’affaire et mobilisations
Sonia Dahmani a été arrêtée le 11 mai 2024, en direct à la télévision tunisienne. Des hommes cagoulés ont fait irruption au siège de l’Ordre des avocats pour l’appréhender, en raison de propos critiques qu’elle avait publiquement tenus à l’encontre du gouvernement de Kaïs Saïed. Réputée pour sa liberté de ton, cette avocate et chroniqueuse avait dénoncé à l’antenne le traitement infligé aux migrants subsahariens sur le sol tunisien. À la suite de cette arrestation, elle a été condamnée, le 11 septembre 2024, à huit mois de prison ferme.
Depuis son incarcération, ses conditions de détention n’ont cessé de se détériorer. Sa sœur, Ramla Dahmani, alerte depuis plus d’un an sur l’aggravation alarmante de la situation : Sonia est privée de repas chauds, de soins médicaux, et subit un isolement de plus en plus marqué. Dernièrement, cet isolement a atteint un niveau extrême : elle est contrainte de rester immobile 23 heures 30 sur 24 heures. Ramla qualifie cette mesure d’« acharnement méthodique », visant, selon ses mots, à « briser son corps pour anéantir sa pensée ».
Cette arrestation n’a malheureusement suscité qu’une mobilisation timide, à la fois parmi les proches de la victime et dans les milieux judiciaires, en Tunisie comme en France. Depuis plus d’un an, Ramla Dahmani alerte inlassablement sur la situation de sa sœur, multipliant les prises de parole sur ses réseaux sociaux ainsi qu’à la télévision française. Le 20 mai 2025, elle publiait un nouveau témoignage, signalant une nouvelle dégradation de l’état de santé de Sonia Dahmani. Privée de soins médicaux et de conditions de vie décentes, sa santé est aujourd’hui dans un état critique.
Quelques voix se sont élevées pour lui apporter leur soutien. Parmi elles, des avocats français et internationaux ont tenté de faire entendre leur indignation. Le Conseil national des barreaux a réaffirmé à plusieurs reprises son soutien envers Sonia Dahmani, dénonçant avec fermeté la répression ciblant la profession d’avocat ainsi que les conditions alarmantes de détention. Plusieurs barreaux, notamment ceux de Lille, Lyon, Nantes, Bordeaux et Rouen, ont élu Sonia Dahmani membre d’honneur. Ce geste a permis d’intensifier localement la mobilisation et de poursuivre les échanges avec sa famille et ses proches.
Mais malgré ces marques de soutien, la mobilisation demeure trop silencieuse. Elle peine à s’imposer dans le débat public international, et reste trop peu relayée au-delà des cercles militants ou professionnels. Ce silence ambiant interroge : jusqu’à quand tolérerons-nous qu’une voix dissidente soit réduite au silence dans l’indifférence quasi générale ?
Quand la loi fabrique l’arbitraire
Ces condamnations, largement dénoncées comme de véritables parodies de justice, n’ont été rendues possibles que par l’instrumentalisation du décret-loi 54. Introduit en 2022 sous couvert de lutte contre la cybercriminalité, ce texte a été rapidement détourné de sa finalité initiale pour devenir un outil de répression, visant à museler l’opposition politique et à restreindre drastiquement l’espace civique.
Parmi les personnes visées, on compte plusieurs figures majeures de l’opposition, telles qu’Issam Chebbi (Parti républicain), Ghazi Chaouachi ou encore Ridha Belhaj, mais aussi de nombreux journalistes — quatre seraient actuellement emprisonnés et quinze poursuivis, selon le Syndicat national des journalistes tunisiens. Les avocats ne sont pas épargnés : une dizaine d’entre eux seraient la cible de harcèlement, de poursuites arbitraires, de détentions abusives, voire de mauvais traitements, d’après le Conseil national du barreau.
Ce décret liberticide érige la notion floue de « diffusion de fausses nouvelles » en infraction pénale, ouvrant ainsi la voie à des poursuites discrétionnaires. Comme le souligne Philippe Simoneau, expert en droit de la liberté d’expression, cette disposition permet « de poursuivre à peu près n’importe qui, pour n’importe quoi ».
Dans ce climat de répression généralisée, la surveillance des réseaux sociaux s’intensifie. Ramla Dahmani, sœur de Sonia, dénonce l’existence d’une véritable « police de Facebook », qui tend à museler toutes les voix de l’opposition. C’est cet ensemble de mécanismes qui crée les conditions du véritable régime de la terreur bâti par le président pour conserver le pouvoir.
Conclusion :
Il ne s’agit plus seulement de dénoncer une injustice, mais de nommer ce qu’elle révèle : l’érosion du droit, la criminalisation de la parole, et la fabrication méthodique de la peur. Ce qui se joue à travers Sonia Dahmani, c’est la mise à l’épreuve d’un pays, mais aussi de celles et ceux qui prétendent encore croire aux libertés fondamentales. Si les réactions politiques et officielles restent timorées, c’est en grande partie en raison du soutien apporté par l’Union européenne au régime de Kaïs Saïed depuis 2023, un appui qui se traduit notamment par des financements de plusieurs millions d’euros pour l’externalisation des frontières, en violation flagrante des droits humains. Rester silencieux, aujourd’hui, c’est consentir.
Signataires
– Silvana Silvani, sénatrice PCF de Meurthe-et-Moselle
– Vincent Boulet, responsable des relations internationales du PCF
– Yann Leroy, responsable PCF du secteur Maghreb
– Ramla Dahmani, sœur de Sonia
– Walid Bourouis, journaliste Tunisien, réfugié politique en France
Avec la participation de :
– Tess Mancuso, collaboratrice parlementaire
– Sarah Queille, collaboratrice parlementaire stagiaire