Le magazine en ligne américain « The Intercept » a publié ce week-end des documents sur la présence militaire des États-Unis en Afrique. Ces documents révèlent une présence militaire plus importante que ce que l’armée américaine a toujours reconnu.
Le site américain The Intercept révèle une présence discrète mais massive de l’armée américaine en Afrique. Washington, qui a affirmé vouloir réduire son contingent en Afrique, supervise pourtant 34 sites sur le continent.
La porte-parole du Pentagone, Candice Tresch, a indiqué mi-novembre que le nombre de soldats américains déployés en Afrique serait réduit d’environ 10 % au cours des prochaines années. Cela n’empêche pas un impressionnant maillage du continent par l’US Army. C’est ce qu’a révélé le 1er décembre courant le site américain d’investigation The Intercept ( cliquez ici pour lire en anglais ), qui a pu consulter des rapports concernant Africom (le Commandement des États-Unis pour l’Afrique) en vertu du Freedom of Information Act. Le média publie même une carte des 34 installations militaires américaines – 14 bases militaires et 20 avant-postes. Environ 7 200 soldats y sont mobilisés.
« L’empreinte américaine sur le continent africain ces dix dernières années s’est nettement accrue, dans le but de promouvoir les intérêts sécuritaires américains », affirme au média Candice Tresh, porte-parole du Pentagone.
Alors que la Chine et la Russie ont augmenté leur engagement militaire en Afrique, aucune de ces puissances n’est aujourd’hui aussi présente que les États-Unis. « Indépendamment des présences chinoises ou russes en Afrique, les États-Unis sont simplement guidés par les menaces qui pèsent sur leurs intérêts, en particulier au Sahel et dans la Corne de l’Afrique, c’est ce qui explique le maintien de la pression sur des organisations terroristes dans ces zones », souligne pour sa part Geoff Porter, à la tête du cabinet de consultants North Africa Risk Consulting, contacté par la chaîne d’information France 24.
Dans un entretien accordé le 4 décembre à l’AFP, le général Roger Cloutier, le commandant des forces de l’armée de terre américaine en Afrique (USARAF) a confirmé les conclusions de l’enquête de The Intercept. «Non, nous ne nous désengageons pas», a déclaré le haut gradé. «Nous sommes plus engagés que jamais, et nous cherchons de nouvelles occasions de nous impliquer encore davantage», a-t-il encore ajouté.
Montée en puissance des drones
« La distribution des bases suggère que l’armée américaine est organisée autour de trois théâtres antiterroristes en Afrique : la Corne de l’Afrique (Somalie, Djibouti, Kenya), la Libye et le Sahel (Cameroun, Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso) », explique Adam Moore, professeur à UCLA et spécialiste de l‘armée américaine à The Intercept.
Ces secteurs sont en effet en proie à des attaques de groupes terroristes : Shebab en Somalie, Al-Qaïda en Lybie et au Sahel, ou encore Boko Haram.
C’est surtout en matière de drones que les Américains opèrent une indéniable montée en puissance. Ainsi, au cours des cinq dernières années, ils ont installé à Djibouti « ce qui est sans doute le plus important complexe de drones au monde », d’après Adam Moore. Ce camp abrite les engins qui opèrent au Yémen et en Somalie et accueille « quelque 4 000 militaires américains et alliés », selon The Intercept.
Mais c’est au Niger que les États-Unis accélèrent l’expansion de leur front au Sahel, zone stratégique pour lutter contre la montée du terrorisme sur le continent. En octobre 2017, la mort de quatre soldats américains dans une embuscade au Niger avait d’ailleurs révélé au grand jour à quel point les forces américaines sont impliquées dans la lutte contre les jihadistes dans la région. La grande majorité des Américains ne savaient probablement pas que leur pays participait à des missions de combat en Afrique avant l’incident.
Dans ce pays de l’ouest africain où les États-Unis possèdent déjà cinq bases, il est prévu d’installer un site plus important encore que celui de Djibouti : la base de drones d’Agadez, dont la construction devrait coûter 100 millions de dollars.
Une présence organisée autour de trois théâtres d’opérations
Ailleurs sur le Continent, les Américains disposent de sites en Somalie où ils comptent apporter une riposte à la menace des Shebabs avec leur base de drones, mais aussi leur présence à Baidoa, Bosaaso, Mogadiscio, Berbera, Kismayo, Baledogle. Le Kenya voisin accueille quatre bases à Mombasa, sur l’Ile de Manda, à Lakipia ou encore Wajir. La configuration est différente en Afrique du Nord où la présence américaine est en quelque sorte floutée. En Libye, les Etats-Unis sont présents sur trois sites sur lesquels ils ne communiquent pas. En Tunisie, ils ne conservent qu’une base de drones, la base aérienne de Sidi Ahmed à Bizerte . « Nous y faisons voler (nos engins), ce n’est pas un secret, mais nous sommes très respectueux vis-à-vis des Tunisiens », affirmait en 2017 le responsable de l’Africacom, cité par The Intercept
« Fourniture de renseignement et déploiement limité »
Pour Goeff Porter, il n’y a rien de contradictoire entre la baisse des effectifs de soldats annoncée par le Pentagone il y a quelques semaines et cette montée en puissance.
« L’un n’exclut pas l’autre : si le but de ces bases est d’opérer à l’aide de drones et de renforcer les infrastructures existantes des pays partenaires, il est possible dans le même temps de réduire le nombre de militaires américains engagés », argumente l’expert.
L’utilisation de drones est partie prenante de la stratégie antiterroriste menée par les États-Unis dans la Corne de l’Afrique et au Sahel, explique-il. « L’engagement militaire se fera par un appui logistique à ses alliés dans ces zones, et les drones permettent la fourniture de renseignements avec des déploiements limités des forces spéciales pour aider ces nations alliées à trouver et neutraliser les cibles », poursuit-il.
Si Washington préfère souligner que les installations décrites sont provisoires et se font sous l’égide des pays concernés, cette montée en puissance va se poursuivre, affirme The Intercept. Air Forces Africa, la composante aérienne du commandement américain en Afrique est ainsi impliquée dans près de 30 projets de construction dans quatre États africains, affirme le site.
En conclusion, le rapport laisse penser que les États-Unis ont une stratégie de déploiement en Afrique de grande envergure, obéissant à une vision stratégique, au-delà du prétexte de la lutte antiterroriste souvent évoqué, qui consisterait à contrecarrer l’influence chinoise, russe et française.