La face cachée de la Fondation militaro-humanitaire de Gaza

Des centaines de Palestiniens ont été tués sur des sites de distribution alimentaire gérés par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une entité privée financée par les États-Unis et Israël, et accusée par plusieurs ONG de ne pas avoir l’expertise nécessaire pour distribuer l’aide dans le respect du droit international. Une enquête de France 24 révèle que ce dispositif controversé est géré par des anciens militaires, des ex-officiers du renseignement et des chrétiens évangéliques.

Plus de 600 Gazaouis ont été tués et plus de 4 000 blessés en cherchant à obtenir de l’aide humanitaire, a indiqué l’ONU vendredi 4 juillet, depuis l’instauration, le 27 mai, d’un nouveau système de distribution soutenu par les États-Unis et géré par la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une organisation privée financée par des intérêts américains et israéliens – et vivement critiquée par l’ONU et plusieurs ONG.

Les Gazaouis doivent désormais traverser des zones militarisées dans le sud du territoire pour récupérer des sacs de nourriture, souvent au péril de leur vie, alors que l’armée israélienne ouvre régulièrement le feu sur les civils venus chercher de l’aide.

Derrière ces chiffres se jouent des drames humains. Un habitant de Gaza, dont le petit frère a été tué en tentant de récupérer de l’aide à l’ouest de la ville de Gaza, a dit à France 24 avoir été contacté le 17 juin par l’hôpital Al-Chifa. Le corps de son frère y avait été déposé dans un sac. « Il a été tué par un sniper israélien, abattu alors que la foule se pressait vers un camion d’aide humanitaire, raconte-t-il. J’ai touché son corps et j’ai vu que la balle était entrée par l’épaule gauche et ressortie par le cœur. […] Il a été tué pour un morceau de pain, pendant que le monde reste silencieux en observant, voire en justifiant tous ces morts. »

Israël a bloqué en mars et durant plus de deux mois l’entrée de nourriture et d’autres produits essentiels dans la bande de Gaza. Ce n’est qu’à la fin du mois de mai que certaines livraisons ont été autorisées à passer, via des points de distribution gérés par la GHF, sécurisés par des agents armés américains avec l’appui, autour, des troupes israéliennes.

L’ONU boycotte la GHF, refusant toute collaboration avec l’organisation en raison de violations présumées des principes humanitaires et de son possible alignement avec les objectifs militaires israéliens. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a dénoncé le 28 juin une opération « dangereuse et meurtrière ». « Forcer des civils désespérés à se rendre dans des zones militarisées est par essence dangereux. Cela tue », a-t-il déclaré devant la presse.

« Du sang contre de la nourriture »

« Il n’y a pas assez d’aide, alors les gens se rendent par milliers dans des zones évacuées, et c’est là que les forces israéliennes les tuent car ils ne viennent pas un par un, explique un responsable onusien sous couvert de l’anonymat. C’est du sang contre de la nourriture. »

Un article du journal israélien Haaretz publié début juin rapportait les témoignages de plusieurs personnes ayant essuyé des tirs de chars, de drones et d’hélicoptères près des points de distribution de la GHF.

Des accusations rejetées en bloc par la GHF et l’armée israélienne. « Il n’y a eu aucun décès sur ou à proximité de nos sites de distribution. Point final », a répondu un porte-parole de la GHF à France 24.

Israël accuse régulièrement le Hamas de détourner l’aide humanitaire, sans en fournir la preuve. Le gouvernement israélien considère la GHF comme un levier essentiel pour affaiblir ce qui reste du contrôle du Hamas sur Gaza.

« Nous avons un plan, élaboré avec l’aide d’entreprises américaines, pour mettre fin au contrôle du Hamas sur la distribution de l’aide humanitaire à la population », a expliqué le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, dans une interview récemment accordée à Fox News.

La Fondation humanitaire de Gaza est dirigée par John Acree, un ancien cadre de l’agence américaine pour le développement USAID, et Johnnie Moore, un ancien conseiller de Donald Trump, prédicateur évangélique et spécialiste des relations publiques, proche à la fois du président américain et du Premier ministre israélien.

Johnnie Moore s’est distingué lors du premier mandat de Donald Trump en participant à une campagne de chrétiens évangéliques pour faire reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et y installer l’ambassade américaine. « Il n’y a rien de plus chrétien que de nourrir ceux qui ont faim », a-t-il écrit récemment sur X.

Offres d’emploi recherchant des profils « formés à la guerre non conventionnelle »

La société de sécurité privée associée à la GHF, Safe Reach Solutions (SRS), est dirigée par Philip Francis Reilly, un ancien responsable des opérations clandestines de la CIA, notamment spécialisé dans le soutien aux guérillas, comme les Contras au Nicaragua.

Safe Reach Solutions opère en partenariat avec une autre entreprise de sécurité, UG Solutions. Les deux sociétés recrutent pour leurs missions d’anciens membres du renseignement américain et des forces spéciales. Leurs offres d’emploi indiquent rechercher des profils « formés à la guerre non conventionnelle », spécialisés dans l’analyse de la vidéosurveillance ou encore dans « l’usage de mitrailleuses ».

« Faire venir ce type d’individus n’ayant visiblement aucune qualification en aide humanitaire mais qui sont lourdement armés renforce les craintes selon lesquelles Safe Reach Solutions et la GHF poursuivent un objectif militaire plutôt qu’humanitaire », estime James Wasserstrom, expert en reconstruction post-conflit ayant travaillé pour l’ONU et le gouvernement américain en Afghanistan, en Ukraine et au Kosovo.

« Cet ‘expert’ ne connaît manifestement rien à nos opérations », a répondu à France 24 un porte-parole de la GHF, ajoutant que celle-ci pouvait compter sur « des spécialistes de l’humanitaire » dans ses équipes.