Donald Trump limoge le procureur fédéral qui refusait de démissionner

Le procureur fédéral de Manhattan, Geoffrey Berman, a enquêté sur des proches de Trump et refusait de démissionner. Un bras de fer qui a provoqué l’indignation des démocrates.

Les démêlés du président américain avec sa propre justice n’en finissent pas. Le ministre américain de la justice William Barr a annoncé samedi 20 juin que Donald Trump limogeait le procureur fédéral de Manhattan, qui a enquêté sur des proches de ce dernier et refusait de démissionner.

William Barr, le ministre américain de la Justice, a annoncé le renvoi de Geoffrey Berman, procureur fédéral de Manhattan qui a enquêté sur des proches du président Donald Trump. « Parce que vous avez déclaré que vous n’aviez aucune intention de démissionner, j’ai demandé au président de vous renvoyer dès aujourd’hui, et il l’a fait », a écrit le ministre dans une lettre, publiée samedi par des médias américains et adressée à Geoffrey Berman.

Le ministre n’a pas mâché ses mots dans sa lettre. « Avec votre communiqué la nuit dernière, vous avez choisi le spectacle public plutôt que le service public », a-t-il jugé. « Il est bien établi qu’un procureur fédéral nommé par une cour peut être renvoyé par le président. »

Vendredi 19 juin, le ministère de la justice avait annoncé la démission du procureur Berman, avant que celui-ci ne démente quelques heures plus tard, faisant savoir qu’il « n’avait pas l’intention de démissionner de [son] poste ». Et de poursuivre : « Je démissionnerai lorsqu’un candidat désigné par le président sera confirmé par le Sénat. Jusqu’à ce moment-là, nos enquêtes se poursuivront sans interruption. » En vertu de la loi fédérale, un procureur américain nommé par les juges d’un tribunal de district, comme Berman, peut exercer ses fonctions « jusqu’à ce que le poste vacant soit pourvu » par un candidat validé par le Sénat.

L’administration Trump espère remplacer le procureur par Jay Clayton, l’actuel patron du gendarme boursier américain, la SEC (Securities and Exchange Commission), à sa place. Cet avocat d’affaires n’a pratiquement aucune expérience en tant que procureur fédéral.

Ouverture d’une enquête sur cet incident

Le chef de la minorité démocrate du Sénat, Chuck Schumer, avait manifesté son inquiétude, estimant que « cette démission annoncée tard vendredi soir empeste la corruption potentielle de la procédure légale ». « Qu’est-ce qui met le président Trump en colère ? Une action antérieure de ce procureur ou une action en cours ? », s’est-il interrogé.

A la Chambre des représentants, contrôlée par les démocrates, le président de la commission judiciaire, Jerry Nadler, a accusé William Barr d’avoir déjà fait entrave à plusieurs reprises « à des enquêtes pénales, pour le compte de Trump ».

Dans un communiqué, la commission a annoncé qu’elle allait « immédiatement ouvrir une enquête sur cet incident, dans le cadre d’investigations plus lage sur l’inacceptable politisation par Barr du ministère de la Justice ». Deux lanceurs d’alerte témoigneront mercredi à ce sujet, a-t-elle précisé.

Proches du président

Geoffrey Berman, procureur depuis 2018 dans le puissant district sud de New York, a notamment supervisé la mise en accusation de Michael Cohen, l’ex-avocat de M. Trump condamné à trois ans de prison en décembre 2018 pour avoir menti au Congrès, fraudé sur ses impôts et acheté le silence de deux anciennes maîtresses présumées de M. Trump pendant la campagne présidentielle de 2016, en violation des lois électorales.

M. Berman a également conduit l’enquête sur les efforts de Rudy Giuliani, l’actuel avocat personnel du président, et deux de ses associés, Lev Parnas et Igor Fruman, pour discréditer Joe Biden, devenu l’adversaire démocrate de M. Trump pour la présidentielle de novembre. Ils ont notamment été accusés en octobre de violations du financement des campagnes électorales fédérales, notamment pour avoir caché l’origine d’un don de 325 000 dollars à un groupe soutenant la réélection de Trump.

Faveurs à Erdogan

Cette décision d’évincer Berman survient également quelques jours après la publication d’extraits d’un livre confession de l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, selon lequel le président américain aurait tenté d’interférer dans une enquête menée par Berman concernant la banque publique turque Halkbank, accusée d’avoir contourné l’embargo américain contre l’Iran.

Des pressions qui auraient eu pour but d’obtenir en échange du président turc, Recep Tayyip Erdogan, la libération d’un pasteur américain emprisonné en Turquie, explique l’ancien conseiller. Six semaines après la libération du pasteur, Bolton raconte que lors d’un appel au président turc, « Trump a ensuite dit à Erdogan qu’il s’occuperait de tout, expliquant que les procureurs du district sud n’étaient pas ses gens, mais ceux d’Obama, un problème qui serait réglé lorsqu’ils seraient remplacés par ses propres gens ». La Maison Blanche cherche à bloquer la diffusion publique du livre de Bolton, affirmant qu’il est publié sans autorisation formelle certifiant que le manuscrit était exempt d’informations classifiées.

De précédents limogeages

L’administration Trump a limogé plusieurs responsables chargés de superviser l’action gouvernementale. L’inspecteur général de la diplomatie américaine, Steve Linick, limogé mi-mai par M. Trump, a expliqué que le département d’Etat savait qu’il enquêtait à ce moment-là sur deux dossiers potentiellement gênants pour le ministre Mike Pompeo, un proche du président.

« Pourquoi un président se débarrasse-t-il du procureur qu’il a lui-même choisi dans le district sud de New York un vendredi soir, à moins de cinq mois de l’élection [présidentielle] ? » s’est interrogé vendredi sur Twitter Preet Bharara, le prédécesseur de M. Berman, qui avait été lui-même limogé en mars 2017 après avoir refusé de démissionner, comme le lui demandait Donald Trump.

Mais le malaise perçait aussi chez les alliés de Donald Trump. Le sénateur républicain Lindsey Graham, à la tête de la commission judiciaire qui serait chargée de confirmer, avant un vote en séance plénière, la nomination de Jay Clayton, a souligné dans un communiqué qu’il n’avait pas été prévenu de ce remplacement.

Cet allié de Donald Trump a ajouté qu’il permettrait « comme toujours » aux deux sénateurs de New York, des démocrates, de valider sa nomination avant tout vote en commission. Ce qui, compte tenu des réactions, la condamne d’avance.

Avec agences