Les dessous de la polémique sur les déclarations du Président

Mansour Mhenni

Mansour Mhenni

Pour un événement important, le passage du président de la République, Béji Caïd Essebsi, sur Nessma TV en est un et à plus d’un titre. La partie visible de l’iceberg est sans doute la polémique autour du cannabis, mais il n’y a pas que cela, me semble-t-il. Mais essayons de nous concentrer ici sur les motivations de cette polémique.

D’aucuns ont parlé d’une défaillance communicative concernant l’approche selon laquelle le président avait abordé la question de l’arrestation des jeunes à leur première expérience de la zatla. C’est, à mon sens, aller trop vite en besogne pour plusieurs raisons. La première est que le président est entouré d’une équipe qui ne manque pas d’expérience en la matière et que la réaction critique quasi-immédiate sur les réseaux sociaux, plutôt que spontanée comme on voudrait nous le faire croire, était bel et bien préméditée et se serait déclenchée sur ce point ou sur n’importe quel autre. Cela ne veut pas dire que le président et son équipe ne se trompent pas ; cela veut juste signifier que, chez nous, le débat politique est devenu miné à chaque pas parce que tout le monde est à l’affût de tout le monde. En effet, nous ne cherchons plus à converser pour construire ensemble une voie consensuelle, nous cherchons plutôt chacun à crever les roues de l’autre.

Force est donc de reconnaître la véracité de cette opinion d’Albert Camus, datant de 1948 : « Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique. […] Des milliers de voix jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversent sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices, attaques, défenses, exaltations. »

La seconde raison est que la proposition du président n’est ni insensée ni contraire à ses prérogatives constitutionnelles, n’en déplaise même à certains spécialistes. Il est acquis que le président peut prendre l’initiative de réunir le Conseil de la Sécurité Nationale, sur un ordre du jour que le conseil peut accepter, modifier ou refuser. Quant à la question soulevée, celle de cette jeunesse parfois trop rapidement conduite sur le chemin de la perdition au nom d’une justice aveugle, elle peut, dans un contexte comme le nôtre et au vu des conséquences appréhendées, notamment l’attrait du terrorisme, relever bel et bien de la sécurité nationale.

Maintenant, en troisième et dernier point, est-ce que le président a l’intention, de façon individuelle, d’ordonner directement l’abrogation de loi sur la consommation de cannabis ? En bon juriste qui n’est pas né de la dernière pluie, il ne le ferait pas ou on ne le laisserait pas faire, car cela relève bel et bien des compétences de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Mais en attendant ce vote, ne peut-on pas chercher le moyen d’atténuer la gravité d’une première arrestation, pour ce motif, de jeunes dont certains ont vu leur avenir sincèrement compromis pour la première bouffée inhalée ? Pourtant, là encore, ce n’est pas le président qui donnerait l’ordre direct de ne plus recourir à l’arrestation systématique des jeunes consommateurs de la Zatla ! C’est bel et bien le responsable direct de la politique judiciaire, en l’occurrence le ministre de la Justice, qui le ferait en réponse à une conviction de l’opportunité d’une telle démarche, explicitement exprimée par le Conseil de la Sécurité Nationale.

Reste quand même à se demander si, du point de vue de l’éthique sociale, une telle démarche peut inciter à la consommation généralisée du cannabis, comme la plupart des commentaires sur les réseaux sociaux ont présenté la chose non sans sarcasme, et donc contribuer à la dépravation de la société. Force est de reconnaître que le risque existe, autant que celui, inverse, de conduire à la perdition des jeunes auxquels la société aurait pu donner l’occasion d’un rachat, après une première faute. Cela dépend donc de notre conception de l’éducation en général : celle qui se fait à coup de cravache ou celle qui passe imperceptiblement dans la pratique conversationnelle, initiatrice des échanges constructifs et réfutant la logique de la violence.

Le choix entre les deux est lui-même déterminant du modèle de société que nous voulons : celui de la hiérarchie verticale constituant le squelette de toute dictature potentielle, ou celui de l’interaction horizontale qui est au fondement de la vraie démocratie.

Par Mansour M’henni