DE LA MISÈRE : chez nous, chez nos voisins

Abdennabi Ben Baya

Abdennabi Ben Baya

Écoutez Taous Ait Mesghat en ce 20-11-2017.

‘‘Il n’y a pas plus grande douleur que celle d’une mère écrasée sous les pieds de la misère dans sa quête d’un bout de pain, avec pour dernière pensée avant de rendre l’âme, ses enfants qui ont faim . Triste monde, triste humanité …...’’

RÉSONNANCE :

J’ai lu ce ‘‘bout de texte’’ de Taous Ait Mesghat, et ai eu honte de mon visage. Coup inopiné et, ô, combien opportun ! Il y a eu panne d’électricité qui a duré quelques heures, puis fut le tour de la connexion, dysfonctionnement des services desTelecom pendant 3 jours. Miracle ! La technologie est en deuil.

Je le relis aujourd’hui tel qu’il s’expose à moi. La langue de Taous n’est point avare. Ses mots sont entachés des marques de la détresse aux croisées de son chemin. Passif, inoffensif, son texte lapide la quiétude de mes journées ordinaires. À la désolation du spectacle ne peut réagir que la pauvreté de sa parole qui se mue en ‘bout de misère’ balbutiant au-delà des farces machinales des prières. La voici, sous son regard désarmé, devenir ‘bout de pain’ qui tente péniblement à briser les affres de la faim.

Je frissonne et je sais pourquoi le texte de Taous et si court, et, cependant si poignant. Le non-dit gît massivement sous les désarticulations du monde, sous toutes ses dissonances sans entrechocs : d’un côté, creux et manques et de l’autre l’opulence. J’ai du mal à le redire autant de fois que les milliards des êtres du vide qui l’habitent. Je frissonne et je sais pourquoi. L’expression est simple et timide. Le témoignage, empathique et discret. Taous porte la voix de toutes ces femmes, sans l’usurper. Elle porte leur silence. Muette par les abus dont la frappe est indivine, malsaine, elle sait que leur destin est ‘fatalement’ masculin. Dans ces fragments de mots dont je sens la lourdeur dans chaque lettre et syllabe, Taous témoigne décemment pour dire à-dieu à la mère qui part, défunte oubliée de dieu et de ses hommes à qui elle lègue la faim de ceux qu’elle laisse derrière. À travers sa mélancolie, je vois des mécréants qui déferlent, pressant le pas vers les mosquées pour y péter niaiseries et platitudes, des jets de textes sacrés abusés par le rituel du récit et la monotonie artificielle. La mauvaise foi enrage. L’indifférence tue.

Dans chaque musulman ‘fier de l’être’, je vois des ombres et des voiles, je vois la terreur sous tous ses masques, je lis un ennemi, l’ami obscur des ogres. Appelez ceux qui portent l’habit de la piété comme bon vous semble. La voix que porte Taous ne vous gronde. Elle tremble. La tombe de cette mère l’entendra. Elle est morte anonyme, mais les tombes résonnent.

Musulmans de ma honte, je maudis le hasard qui, parmi vous, imposa mon naufrage. Charlatans et obscènes, je vous vomis au nom de tous les âges.

BOUT DE PAIN

L’enfant, qui est fébrile,
A besoin de ses soins.
Elle se lève le matin,
En quête d’un bout de pain,
Le voit qui vient de loin,
La démarche d’un bédouin.
Vendredi, jour des saints,
Lui ou elle, le butin ?
Il l’aborde, l’examine,
Ses yeux brillent de faim.
Il détecte un trésor,
Son corps, un coffre-fort.
Il la prend par la main,
L’emmène au sombre coin,
Et fracasse ses deux seins.
Elle devine ses desseins,
Et se plie à son destin :
Sept coups entre ses reins.

Elle s’est levée hier,
Consommée, tel du foin.
Son fils reste sans soins.
Le monstre de l’hiver
Au printemps a mis fin.

Abdennebi Ben Beya