Crépuscule des sorciers aux Etats-Unis

Biden n’y est pas allé par quatre chemins. L’homme de vérité ainsi que je l’avais défini dans ma lettre ouverte du 2 juillet 2021 (*) a mis fin à un mode de traitement politique de l’engagement militaire des Etats Unis qui, dans la classe dirigeante américaine, faisait dire des G.I’s, invariablement, même dans les situations les plus compromises, qu’ils faisaient du bon boulot « good job ». Bien sûr, autrement, c’eût été préjudiciable au moral des troupes, mais, ce qui a changé, ce lundi 16 août 2021 avec la parole du Président annonçant l’abandon de l’Afghanistan à son sort après vingt années d’efforts inutiles, c’est un jugement sur pièces, sec, sans faux-fuyants, établissant la perte de plus de 2400 jeunes vies américaines et 2.600 milliards de dollars. Ainsi assénée, la vérité que l’on pourrait dire décrétée, puisque jusqu’alors boudée, a trouvé qui la sortir. Il en résultera, une fois tombées les acrimonies particulières, un éveil de la conscience collective de ses compatriotes au tort d’avoir cru ou de s’être laissé convaincre que de tels sacrifices étaient dictés par le rétablissement de leur propre sécurité mise à mal un 11 septembre 2001 comme si, au-delà de ce qui aurait raisonnablement suffi à y pourvoir, la mission impossible de faire de l’Afghanistan une nation moderne et démocratique en était l’un des corollaires. C’est dire si des révisions de certaines doctrines, dont la N.S.S. 2015 (National Security Strategy) d’Obama sont attendues et combien elles seront déchirantes. Je m’efforcerai ci-après de relever très succinctement ce qui, faux en théorie, n’a pas marché en pratique et laisse néanmoins entrevoir les changements à venir.

L’hégémonie des USA est un fait. Leurs intérêts sont donc partout, seulement, leur protection fait appel à une conception exagérément large de la sécurité à telle enseigne que cette notion y perd ses limites propres, induisant paradoxalement plus d’aléas qu’elle ne tend à en écarter. Les déboires subis en Corée, la défaite essuyée au Viet Nam et le gâchis occasionné en Irak sont trop présents dans les esprits pour que, Kaboul tombant de surcroît entre les mains des Talibans, la question ne soit posée de savoir quelles idées et quels stratèges sont derrière cet infernal palmarès.

Il fut un temps où, sous la menace du déclenchement d’une confrontation armée directe avec l’Union Soviétique, l’équilibre de la terreur entre les deux superpuissances, supposait des réflexes d’intervention militaire en périphérie des zones couvertes par des traités de défense commune sous leadership américain. L’usage de la force s’imposait, notamment en Corée, avec l’aval du Conseil de Sécurité des Nations Unies, toujours en riposte à une provocation suffisamment grave et géographiquement circonscrite, d’où l’inutilité dans le cas précité de s’interroger sur le bien-fondé de choix stratégiques inexistants. Il en va autrement de la guerre impopulaire du Viet Nam à laquelle, avant même l’arrivée de R. Nixon à la Maison Blanche, le Président L. B. Johnson aurait dû mettre fin et éviter à sa nation l’alourdissement d’un bilan déjà désastreux.

Avec la fin de la guerre froide, comme s’il s’était créé un vide, un foisonnement de concepts politiques nouveaux s’est fait jour, dont l’un en particulier, le soi-disant devoir d’ingérence, allait bouleverser l’ordre antérieur des relations internationales. J’en aurai peut-être arbitrairement choisi pour répertoire l’essai du professeur à Harvard S. M. Huntington paru en 1996 sous le titre « Le choc des civilisations » mais, un repère, quel qu’il soit, étant toujours indispensable pour marquer une évolution ou un changement, justice doit lui être rendue d’avoir rempli ce rôle sur le chemin d’une longue série de générations d’experts dont des universités de renom furent les pourvoyeuses et qu’une certaine division du travail aurait groupés en officines informelles pour élaborer des stratégies et conseiller les décideurs. C’est un milieu opaque, quasi-initiatique, où, de tous les intérêts essentiellement économiques, ceux des industriels de l’armement et des pétroliers se font entendre le plus fortement. Une vérité de la Palice me diriez-vous, je n’en disconviens pas. Seulement comment accommoder ces intérêts avec la sécurité des Etats Unis en les poussant à la guerre dans un monde où, si les nations concurrentes ne manquent pas, l’ennemi se fait rare ? Eh bien, on l’invente ! L’aberration, car cela en est une, se trouve déjà dans le titre de l’ouvrage cité plus haut. En effet, ce qui avait été annoncé par Huntington tient plus de l’oracle, pour ne pas dire de la tromperie, que de l’anticipation logique sur des éléments factuels, certes établis, mais tendancieusement interprétés. La civilisation est par définition une capacité de coexistence. La coopération et la compétition pacifique lui sont familières, mais le bellicisme lui est totalement étranger. Aussi, la confusion des genres chez l’auteur a été de l’impliquer dans la motivation des conflits armés qui procèdent de toutes autres choses et, plus grave encore en parlant au pluriel d’un choc des civilisations, de désigner leurs différences comme les causes d’un rejet mutuel inéluctable. S’il avait traité du choc des cultures, on l’aurait compris, mais le mal est fait.

L’attentat perpétré par l’organisation islamiste secrète El Qaida à New York le 11 septembre 2001 n’a pas seulement eu un effet de résonance émotionnelle avec l’attaque surprise de Pearl Harbour par les forces aéronavales japonaises, le 7 décembre 1941, ce qui explique l’échelle apocalyptique sur laquelle la riposte s’est voulue démonstrative de puissance et de sévérité, il a donné goût, en cours de traitement, à une véritable alchimie dont sortira le meilleur ennemi, le terrorisme islamiste made in USA. En disant cela d’une manière, ma foi lapidaire, ce ne sont pas les preuves de l’accusation qui me manquent, mais l’espace de ces quelques lignes pour les passer en revue. Aussi me limiterai-je à laisser le sombre tableau des événements sanglants que nous avons eu quotidiennement sous nos yeux tout au long des quinze dernières années dénoncer, au-delà du mensonge qui a servi de prétexte à la destruction de l’Etat moderne et laïc d’Irak, la duplicité qui a consisté à faire jaillir de ses ruines, avec la complicité du Qatar, sous le commandement de prisonniers libérés de Guantanamo et à grand renfort de recrues de tous horizons, notamment de Tunisie, les hordes de tueurs les mieux équipés et les plus grassement rétribués du monde avec pour mission, derrière la bannière d’un état islamique factice dit Daesh, de mettre à feu et à sang le pays déjà cité, diminué du Kurdistan, la Syrie et la Libye, en attendant de voir. Plus subtil dans les formes, une fée démocratique américaine nommée Hillary Clinton s’étant penchée sur son berceau, avec les frères musulmans hissés au pouvoir par la faveur des urnes et le rêve à peine dissimulé d’un sixième Califat, le « Printemps Arabe » n’a duré qu’une année dans une Egypte où l’armée avait son mot à dire et clopine lamentablement depuis dix ans dans une Tunisie indécise, mise à sac, rongée comme peu de pays l’ont été par la corruption et servilement enrôlée dans un projet néo-ottoman sans lendemain.

Avant d’aller plus loin, votre serviteur est requis d’indiquer d’où il tient ce qui lui a fait dire plus haut de Joe Biden qu’il est un homme de vérité. C’est, je crois la principale de ses qualités car déjà, ses études supérieures menées de front pendant les années soixante dans les disciplines du droit et de l’histoire à l’Université du Delaware dénotent une certaine connexité dans son entendement entre deux intérêts généralement divergents, l’un pour ce qui est juste, l’autre pour ce qui a été vécu. En parfaite concordance avec cette observation, l’un de ses premiers actes d’autorité comme Président des Etats Unis, peut-être le premier, qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé prendre, notamment pour éviter d’indisposer un allié, la Turquie, fut sa déclaration officielle du 24 avril 2021, dûment publiée par la Maison Blanche et selon laquelle « le peuple américain honore tous les arméniens qui ont péri dans le génocide qui a commencé, il y a 106 ans. ». Sous son impulsion et sans trop attendre, l’espoir est donc permis de voir les vraies leçons tirées d’une politique étrangère américaine ratée à tous égards, doublée de ruine morale.

Il ne fait aucun doute, et ce seront là mes conclusions d’ordre théorique, que cette politique étrangère hasardeuse et improductive ne pouvait nullement avoir été planifiée dans le respect d’un minimum de règles constitutives d’une stratégie, l’intrigue en ayant tenu coupablement lieu, et que la comparaison avec les esprits sur les conseils desquels elle a été menée ferait rougir des diseuses de bonne aventure.

Certes, il serait fallacieux d’aller plus loin dans la prospection des intentions de Biden. En revanche, il importera, en suivant sa diplomatie, de s’attacher à déceler, à travers les décisions qu’il prendra pour remédier à la situation dont il a hérité, les signes du changement devenu indispensable dans les circuits d’élaboration de la stratégie de sécurité nationale et à la gestion des crises en rompant surtout avec cette mauvaise habitude de les provoquer.

Les moues dubitatives que je devine en me relisant me font prendre le risque, pour ne pas m’arrêter à mi-chemin, d’avancer quelques impressions pouvant mettre sur des chemins prometteurs la recherche des origines de l’aventurisme qui entache depuis trop longtemps la fonction de conception stratégique accaparée par la CIA (Central Intelligence Agency), organisme de renseignement sous tutelle du Secrétariat d’Etat. Héritière, à l’initiative du Président Harry S. Truman, de l’OSS (Office of Strategic Studies), sur une note rédigée par l’ancien directeur de cette dernière, Allen Dulles, elle ne pouvait que continuer à mélanger renseignement et imagination

Parce qu’ils font la guerre, les militaires sont mieux placés que les civils pour l’éviter, non point par choix, ce serait absurde, mais par les conseils qu’il suffit au pouvoir politique de leur demander et qui, sous la garantie de la rectitude et de la discipline qui sont les leurs, sont généralement guidés par la prudence et un grand souci d’efficacité. Ceux des USA ne font pas exception. Alors pourquoi ont-ils été si rares à Langley ? En effet, sur les 34 directeurs qui se sont succédés à la tête de la CIA, 27 en titre et 7 par intérim, on trouve 3 généraux et 3 amiraux, soit 6 militaires, dont trois dans l’immédiat après-guerre jusqu’à février 1953. Trop peu.

Abdessalem LARIF

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(*) To the President of the United States of America, Mr. Joseph R. Biden.
The White House, Washington D.C.

Mr. President,

Both you and I were born during the last two years of the Second World War and we belong to that generation which grew up in the hope of a better world. Most probably, we have shared some of our readings in our childhood and youth times, perhaps even shared the same fondness for Mary O’Hara and Louis Bromfield’s works.
These are the reasons why I strongly hope to be understood when I kindly ask you to remember President Habib Bourguiba’s visit to the United States in May 1961, as the first head of state invited by President John F. Kennedy. The warm welcome that was provided to Bourguiba in washington and in New York by the American people infused the Tunisians with pride but also with a particular feeling of admiration towards the sense of values so deeply rooted in the nation you govern today.
« A genuine friend is not the one who delights your self-esteem by always agreeing with you whatever his inmost thought. He is the one who tells you what he considers to be the truth at the risk of offending you. » Those words of Bourguiba in his memorable speech to the U.S. Congress are expressing the real and sincere friendship between our two countries. These words may have been thought-provoking to you at that time, as you were then a student of History and Political Science at Delaware University. As a matter of fact, I would like to tell to you, the President you have fortunatly become of the United States, that Tunisia’s attachment to its independance has remained unflagging, sometimes for and against all.
What hurts us the most are the consequences of the positive image given by high ranking Americans to the Tunisian Islamists and which have not been denied by the government of the United States. Senator John Mac Cain, then President of the National Democratic Institute of International Affairs (N.D.I.) at the conference of 27th of February 2012 and Mrs. Madeleine Albright on 5th of March 2015, expressed their admiration for the leaders of Ennahdha, the Tunisian Islamist movement which has been controlling Tunisian Government for the last ten years. I do not want to complain to you for Tunisia’s economic and financial failures which are due to Ennahdha policy, but for the moral support given to them by representatives of the greatest democracy in the world, allowing them to treat their fellow citizens with cunning and violence.
This ambiguity, so damaging to the mutual understanding of our two countries expects you to put an end to it, because you are a man of truth. Thank you, Mr. President.

Abdessalem LARIF.