Calmez-vous, nos railleries ne vont pas faire perdre le sommeil à Si Mohamed El Hamdi !?

Hier, un ami universitaire, un homme très respectueux et respectable, un enseignant-chercheur qui réfléchit et auteur de plusieurs ouvrages intéressants, me reprochait mes sarcasmes et de me délecter de la piètre prononciation française de Mohamed El Hamdi. Il estime que ce comportement dénote un « racisme de classe doublée d’une profonde aliénation culturelle ».

En réalité, ceux qui reprochent à Mohamed El Hamdi son mauvais accent ne le font pas par mépris de classe ou pour jeter l’opprobre sur les personnes qui ne leur ressemblent pas ou qui n’ont pas évolué dans le même milieu qu’eux, ils le ridiculisent parce qu’ils ont compris que le ministre de l’éducation était unilingue, qu’il n’était pas vraiment à sa place et n’avait pas l’étoffe d’un ministre d’éducation.

Au risque de décevoir certains de mes détracteurs, et je peux vous assurer qu’ils sont nombreux, sachez que j’ai toujours admiré les Tunisiens qui ont une mauvaise prononciation et qui, en même temps, écrivent bien le français. Ces gens-là ont beaucoup de mérite. Ce sont des personnes qui n’ont pas baigné dans un univers spécialement francophone, mais qui ont acquis cette langue à force de travail acharné au point d’en maîtriser parfaitement la grammaire, l’orthographe et la syntaxe dans leurs travaux écrits. Et, pour moi, c’est le plus important !

Cela étant, la prononciation demeure importante. En effet, je vois souvent des jeunes commettre sur Facebook des énormités telles que « j’ai mal au talent », « il me fait rire, il est marron », « untel sera en cancer à Carthage samedi prochain », etc. Certains tunisiens appartenant aux vieilles générations prononcent mal le français, mais l’écrivent bien.

C’est le cas, d’ailleurs, de plusieurs enseignants et journalistes tunisiens qui travaillent dans des journaux d’expression française. Leur diction laisse à désirer, mais leur syntaxe est excellente, leur maîtrise de l’orthographe et de la grammaire l’est également. Et ils disposent d’un vocabulaire assez riche. Ils ont tout simplement bien étudié le français à l’école.

On traite sans cesse les Tunisiens francophones qui défendent jalousement la langue de Molière contre les assauts répétés des identitaires et des arabophones unilingues d’ « aliénés », on parle souvent d’ « aliénation à la langue et à la culture françaises ». Moi, je préfère rendre à César ce qui est à César. Il faut rendre à la langue française tout le mérite qui lui revient, au lieu de la considérer comme une arme d’aliénation.

Qu’on le veuille ou non, la Tunisie a bâti, tout au long du vingtième siècle, une élite éclairée grâce à la langue et à la culture françaises. Détruire la langue française en Tunisie équivaut à détruire une assise éducative qui a donné de bons résultats et qui a donné naissance à de brillantes générations. On peut bien enseigner la langue arabe et chanter ses louanges, mais pas aux dépens du français.

On reproche également aux Tunisiens qui persiflent leurs compatriotes qui ne maîtrisent pas le français de ne pas se montrer pas très exigeants quand il s’agit de la langue arabe. Il faut comprendre que, contrairement à la langue française, l’arabe n’est pas en train d’agoniser sous nos cieux. Tout a été arabisé dans ce pays.

C’est entre autres l’attachement excessif à la langue arabe et à la religion qui lui est consubstantiellement liée qui fait que nous nous arc-boutions depuis des décennies sur un passé mythique, sur un passé fantasmé et triomphal. Cela apporte de l’eau au moulin des islamo-conservateurs et des identitaires de tout poil, exacerbe la haine de tout ce qui provient de France et d’Occident et de tout ce qui n’est pas « halal » et arabo-musulman ; d’où le fameux « mouch m’te3na » auquel on recourt en permanence pour étouffer toute initiative progressiste et annihiler toute velléité de progrès social.

La langue arabe est, depuis plusieurs siècles, une langue traditionnelle qui véhicule le religieux, un peu de littérature et, dans une moindre mesure, quelques bribes de sciences exactes qui, aujourd’hui, sont frappées de caducité. J’ai l’impression que plus notre considération à l’égard de la langue et de la culture françaises diminue, plus la Tunisie se bédouinise.

Il faut arrêter de culpabiliser les Tunisiens francophones qui, de temps à autre, se permettent quelque raillerie sur Facebook à cause d’un mot mal prononcé ou mal orthographié parce que nous vivons dans un pays où l’on ne cesse de nous parler d’identité arabo-musulmane à longueur de temps. Cette prétendue identité arabo-musulmane que l’on martèle sans cesse, c’est l’environnement, l’état répulsif et végétatif dans lequel nous nous enfonçons davantage chaque jour. On n’arrête pas de glorifier la langue arabe et les principes moyenâgeux de l’islam ; c’était le « golden age » selon les identitaires et les réactionnaires arabophones.

On ne fait que ça en Tunisie, et au Maghreb d’une façon générale depuis plus de soixante ans, célébrer l’arabité et l’islamité pour mieux tuer la langue et la culture françaises et en finir avec elles une fois pour toutes. Par conséquent, ce ne sont pas les quelques francophones un peu railleurs et persifleurs, qui se comptent désormais sur les doigts d’une main, qui vont faire perdre le sommeil à Mohamed El Hamdi et ses semblables. La partie est déjà finie pour la langue et la culture françaises qui ne sont plus que de vieux souvenirs en Tunisie.

Donc, chers amis bien-pensants, vous, les vertueux qui appartenez au camp du Bien, qui n’hésitez pas à voler au secours des victimes des méchants francophones déracinés et haggara, accordez-nous quelques railleries facebookiennes sans nous faire la morale et nous prodiguer des discours remplis de bons sentiments. C’est tout ce qui nous reste dans ce pays de bougnoules…

Pierrot LeFou