Bardo (2) , un cuisant revers pour Kaïs Saïed

(Chers lecteurs, veuillez croire à la véracité du récit ci après, indépendamment des épices avec lesquels je l’ai relevé)

Depuis quelques semaines, des appels pour un sit-in devant l’Assemblée des représentants du peuple inondaient les réseaux sociaux. Le Président de la République Kaïes Saïed a donné le tempo en niant toute légitimité aux députés qui , selon lui , ont trahit leurs électeurs . C’est le sit-in de Bardo 2 qui devait se tenir dimanche 14 juin 2020 devant l’hémicycle parlementaire et réunir les centaines de milliers d’Ikhchidiens enragés que la « révolution » du 14 janvier 2011 avait « marginalisés ». Le but était de dissoudre le parlement et le gouvernement dans son sillage comme prélude au nouveau système politique que le président Kaïs Saïed rêvait d’instaurer.

Fatma Mseddi, ancienne député, se découvre une âme révolutionnaire, s’active à réunir un collectif en soutien au sit in.
Mondher Bdida président du « Mouvement de la jeunesse nationale de Tunisie », du haut de sa tour d’ivoire parisienne, ameute des enragés gauchistes pour prendre d’assaut l’hémicycle parlementaire.
Ridha Mekki dit Lénine  , directeur de la campagne électorale de Kaïs Saïed et président du mouvement des « Ligue des forces de la Tunisie libre » pour qui l’expression de la révolution n’est pas encore construite, mobilise ses communes des sans culottes pour les lancer aux portes de la citadelle parlementaire.
Un Front de salut national se croit maître du processus révolutionnaire en gestation.
A cela s’ajoute cette petite bourgeoisie à col blanc sans aucune attache avec la réalité et qui excelle dans l’art de faire et défaire le monde dans les salons mondains.

A les entendre tous, la distance entre Bab Alioua et le siège du parlement, soit 4km, ne suffirait pas à contenir les manifestants qui se mobiliseraient le 14 juin 2020 pour déboulonner les députés.

Malgré mes distances vis-à-vis des trous du cul et des culs terreux et des vaches folles et des loups édentés, j’ai décidé de me rendre au Bardo outrepassant l’opposition de mon épouse. Elle craignait pour son homme de 70 ans d’être soit piétiné par la foule dans sa course folle pour raser la coupole « bordélique » et déposer ses pierre aux pieds de Kaïs Saïed, ou écrasé suite à la fuite précipitée et désordonnée de cette même foule devant une contre offensive des forces de l’ordre, soit asphyxié par les bombes lacrymogènes, soit encore tué par des ikhchidiens en chaleur étant donné mon hostilité à la « brouette ».

A 7 h 30 j’étais à proximité de la citadelle parlementaire. J’ai fait sept fois le tour de la Kaaba. Toutes les issues étaient cadenassées par les forces de sécurité. Croyant que les Ikhchidiens avaient des couilles, je me suis mis à chercher leurs barricades. Pas l’âme d’un Gavroche, pas le moindre caillou pour le jeter sur un chitan de l’ARP. Deux heures de vaines recherches malgré la torture de mon nerf sciatique.

Alors, je me suis rappelé que lors des années de braises, et devant les bouclages sécuritaires des itinéraires des manifestations que nous organisions, nous changions le lieu de rassemblement et l’itinéraire en dernières minutes et à chaque fois nous avions réussi notre coup et dès le départ nous étions prêts pour la bagarre, parfois même nous la cherchions. Alors, je me suis dit que les ikhchidiens allaient suivre l’expérience des gladiateurs de ces années que Ridha Lénine connaissait fort bien.

J’ai pris le taxi pour la Casbah. Là, je n’ai trouvé que la …sbah. Alors, je me suis dirigé, toujours en taxi, vers la Porte de France. Muni d’un chien slougui emprunté à un ami, j’ai longé l’avenue Bourguiba jusqu’à la place d’Afrique. Pendant tout l’allée et le retour, mon slougui n’a reniflé aucun Ikhdichien. Alors, j’ai rendu le slougui qui, me prenant en pitié, a voulu me conduire à un bar pour y calmer mes douleurs à la hanche, et j’ai repris un taxi pour le Bardo.

Arrivé de nouveau au Bardo vers le coup de 11h30, j’ai en fin trouvé un rassemblement. Ne croyant pas mes yeux, on m’a certifié que c’était là les tombeurs de l’ARP. Je me suis mêlé à la pelote. Il y avait au maximum 50 personnes qui formaient le noyau dur. Les autres c’était une dizaine d’intrus et une autre dizaine de curieux. Ettzaghrit akthar mil el kosksi. Les journalistes étaient plus nombreux. Tellement qu’ils n’avaient pas trouvé quelque chose à mettre sous la dent, qu’ils se sont mis à se filmer réciproquement pour la postérité. Le plus étrange, c’était qu’avec mes 70 ans, j’étais le plus jeune des manifestants. Et moi qui espérais prendre un café en compagnie d’une belle jeune dame rien que pour régaler mes yeux et agrémenter l’ambiance « révolutionnaire » Car, à 70 ans, que pourrais-je espérer de plus ? Fatma Mseddi avec son terrible coup de vieux ne m’a pas inspiré. Par ailleurs, elle était trop occupée à compter et recompter une pelote qui ne voulait pas grossir. Mais où étaient passés les jeunes auxquels Kaïs Saïed voulait donner le pouvoir et qui menaçaient de tout chambarder. Je crois qu’ils n’ont pas trouvé qui devait leur payer le transport et la journée de siège. Où, que venus des régions de l’intérieur, ils ont préféré passer une journée sur les plages de la banlieue nord tout près de leur mentor de Carthage. Jusqu’à 13h15 plus personne ne venait inquiéter les policiers dont les matraques mourraient d’ennui. Les députés étaient soulagés. Il s’était avéré que les jeunes « révolutionnaires » qui leur en voulaient tant, pétaient plus haut que leurs culs, et Abir préférait caqueter du haut de son piédestal parlementaire. La rue et les barricades contre les intégristes étaient des labyrinthes dont, seul Bajbouj le centenaire connaissait les secrets. N’a-t-il pas soulevé tout un pays lors de ce mémorable été 2013 ?

En ce jour du 14 juin 2020, le Président de la République Kaïs Saïed a reçu un cuisant revers. Les Tunisiens semblent refuser la dissolution de l’ARP, une aventure dont nul ne peut prédire les conséquences.La politique de la terre brûlée de la Kahéna a joué contre elle. Ses clins d’œil et ses messages codés pour le changement du système politique n’ont pas eu d’échos pour le moment. Ceux qui se prétendent être ses farouches partisans ont chié dans leurs frocs. Les partis qui ont voté pour lui ont vite fait de le désavouer. Et ceux qui étaient derrière le verrouillage des portes de Bardo semblent lui dire « sois gentil et tais toi ». Donc, criant à qui veut l’entendre que ni l’ARP ni le gouvernement n’ont de réelle légitimité, n’aurait-il pas mieux fallu pour lui de regarder du côté de sa propre légitimité, lui qui a, en plus, renoncé à gouverner et surtout d’exercer ses propres prérogatives constitutionnelles.

Mounir Chebil