Faute de réformes nationales, la Banque centrale de Tunisie est tributaire de prêts et de dons internationaux pour renflouer son stock d’importation. Et la monnaie s’affaisse.
À la Banque centrale de Tunisie (BCT), le 24 août, le stock des avoirs en devises a subitement augmenté de onze jours ! Passant de 90 (il est admis en économie qu’il faut a minima trois mois d’avance) à 103. Stupéfaction momentanée. La hausse des devises serait-elle liée à l’augmentation du tourisme ? Nenni. La Banque mondiale a tout simplement décaissé le prêt de 456 millions d’euros. Il a été comptabilisé à Tunis le 22 août. D’où ce rebond bienvenu, les réserves ayant tutoyé la barre fatidique des 90 jours pendant l’été. Dans le « pipe », un don de l’Union européenne de 300 millions d’euros. Et une nouvelle tranche du prêt contracté auprès du FMI devrait parvenir courant octobre. De quoi souffler temporairement. Faute de redémarrage de l’investissement, le pays est dépendant des bailleurs de fonds ainsi que des emprunts sur les marchés (souvent garantis par un pays tiers type États-Unis).
Le passé récent relativise le présent
Jusqu’en 2003, durant dix-sept ans, les réserves en devises n’excédaient pas les deux mois. Les chiffres ont brutalement augmenté à la suite d’une série de privatisations, la cession de 35 % de Tunisie-Telecom principalement. En 2010, la crise économique a replongé les réserves à trois mois. Depuis décembre 2012, « grâce aux financements extérieurs subséquents » selon une note de la BCT, la moyenne a été de 110 jours. Le goutte-à-goutte des bailleurs de fonds mondiaux (entre dons, aides et prêts) a permis à la jeune démocratie de se maintenir dans les clous de l’orthodoxie financière.
Finances publiques sous perfusion de prêts
C’est devenu un réflexe pour les Tunisiens qui ont leurs enfants étudiants à l’étranger : scruter le taux de change quotidiennement. Le dinar tunisien poursuit sa glissade sur le toboggan monétaire. Une descente économiquement logique, la monnaie n’étant que le thermomètre de la santé économique d’un pays. Un euro s’échange désormais pour 2,87 dinars. Et la BCT n’a pas les moyens de défendre la monnaie sur les marchés. Trop coûteux en devises… S’il est hors de question, politiquement, d’envisager une dévaluation, la monnaie poursuivra sa descente. Le seuil psychologique étant fixé à trois dinars pour un euro.
« La Tunisie n’est pas en faillite »
Sur les plateaux télé, les plages d’information à la radio, dans les colonnes des journaux écrits ou électroniques, les experts se succèdent pour prédire l’apocalypse des finances publiques. Ce qu’en interne, à la BCT, on infirme. La situation est difficile, préoccupante, mais elle ne va pas dans le mur. On pointe « une gestion calamiteuse des importations », à laquelle s’ajoute « une consommation frénétique ». Le climat politique, vénéneux, ne contribue pas à un éventuel retour de la confiance. Youssef Chahed, le chef du gouvernement, a entamé un round de négociations avec les partis politiques pour un remaniement ministériel. En effet, la Tunisie n’a plus ni ministre des Finances ni ministre de l’Éducation nationale depuis le 1er mai. L’intérim est assuré par deux autres ministres. Mais Fadhel Abdelkefi – qui assurait les Finances en plus de son ministère du Développement – a démissionné. Il a été condamné par contumace par la justice en 2014. Il doit se présenter devant le tribunal le 4 septembre prochain. Il a préféré recouvrer son statut de citoyen pour ne pas nuire au gouvernement. En pleine préparation de la loi de finances 2018, un exercice des plus périlleux en ces temps de disette, la démission tombe mal. Et il semble difficile de remplacer les partants. Les deux partis qui cogèrent le pays (Nidaa Tounes et Ennahda) ont chacun leurs exigences. Ils se sont présentés devant Chahed avec une liste de ministrables. Ce duo domine l’ARP (120 députés sur 217) et entend dicter son calendrier au locataire de la Kasbah. Le choix du ministre des Finances, crucial, est l’objet d’intenses tractations politiques. Pendant ce temps, le déficit du commerce extérieur se creuse.
Le déficit commercial dans le rouge
Sur les sept premiers mois 2017, au niveau des prix, les exportations ont augmenté de 11,9 %, et les importations de 16,1 %. Le déséquilibre continue de s’accentuer. Depuis le début de l’année, le déficit de la balance commerciale est supérieur à huit milliards de dinars contre 6,8 pour la période équivalente 2016 ? Plusieurs pays participent à cette situation : la Chine (près de deux milliards), l’Italie, la Turquie, la Russie… Cette dépendance aux importations plombe les comptes de la Tunisie. Et la planche à billets tourne…
Par BENOÎT DELMAS
Source : afrique.lepoint.fr