Tunisie : la croissance attendue reste porteuse de déséquilibres intérieurs et extérieurs graves

taoufik bakkarEn tant qu’ancien ministre des finances et du développement et ancien gouverneur de la BCT, je tiens d’abord à saluer Fadhel Abdelkefi pour le courage dont Il a fait preuve en analysant la situation des finances Publiques dans notre pays et en disant leurs quatre vérités à ces empêcheurs de tourner en rond à l’ARP, bien que j’aurais souhaité voir le président de la chambre ou ses vice-présidents faire le boulot à sa place. Il est vrai que durant le quinquennat que j’ai passé au ministère des Finances, ma priorité en arrivant à 7 heures du matin au bureau comme d’ailleurs la plupart de mes collègues, n’était pas de voir la situation du compte courant du trésor, mais d’examiner la situation de la conjoncture économique et financière du pays et l’état d’avancement des programmes de réformes engagées, de l’élaboration des projets de lois de finances et de finaliser la position du ministère sur les questions sur lesquelles son avis était sollicité dans les CMR et les CIM et dire combien Ils étaient nombreux.
Il est vrai que la gestion des finances publiques prend aujourd’hui l’allure d’une gestion de l’épicerie du coin, quoique même l’épicier aujourd’hui, s’assure lorsqu’il s’endette, de sa capacité de pouvoir honorer ses engagements. Mais, je me dois de dire que cette situation est un cumul qui date de 2011 et qu’elle ne vient pas de rien. Elle découle de cette politique du go and stop que nous avons décriée et qui ne cessera pas tant que ses apôtres sont encore aux commandes, en tant que conseillers économiques du gouvernement. Je ne m’en prends pas aux personnes, mais aux politiques menées et à ces institutions supposées contrôler la politique des finances publiques et de l’endettement au premier rang desquelles, l’ARP.
Le dernier livre publié par le CIPED sous le titre « ÉLÉMENTS DE STRATÉGIE DE SORTIE DE CRISE  » que nous avons fait parvenir aux trois présidences, a analysé en long et en large la situation des finances publiques, procédé à un diagnostic exhaustif et proposé les stratégies et les mesures qui s’imposent. Les portes se referment mais une fenêtre de tir demeure encore si l’on veut éviter à ce pays l’abîme et hypothéquer son avenir et celui de nos enfants.
Quant à ceux qui considèrent que l’économie reprend, je crois qu’il est de mon devoir de dire que la Tunisie pourra atteindre en 2017 les 2.3% de croissance et même plus, mais que ce taux comporte un effet de rattrapage après deux années de croissance atone : 1.1% en 2015 et 1% en 2016 et surtout une saison agricole catastrophique en 2016 (- 8%) . Le jeu de l’effet de l’année de base, le retour de quelques secteurs à un rendement proche de la normale expliquent ce regain de croissance, mais c’est loin d’être une croissance portée par des fondamentaux solides qui peuvent perdurer (reprise ferme de l’investissement, relance des exportations, etc.). D’ailleurs, la croissance potentielle reste aux alentours de 2% et en dehors de réformes ambitieuses et surtout d’une redynamisation du secteur privé et de l’Administration, aucune croissance forte et pérenne ne peut être réalisée. Par ailleurs la croissance attendue reste porteuse de déséquilibres intérieurs et extérieurs graves comme l’attestent le niveau attendu de la dette et les difficultés successives à boucler le budget de l’Etat.
La Tunisie a réussi par le passé à sortir de ces situations difficiles à travers des choix clairs et une mobilisation de toutes les parties, car la situation ne se rétablira pas sans sacrifices et sans retour au travail. A ce propos je m’étonne que le Gouvernement n’ait pas au préalable engagé une consultation sur les mesures convenues avec le FMI afin de réunir les conditions nécessaires à une bonne mise en oeuvre de ces mesures.
Pour mémoire, je publie ce tableau qui montre comment la Tunisie a réussi à assainir ses finances publiques entre 1995 et 2010.

Taoufik Baccar
(Le tableau est à lire de droite à gauche pour éviter toute confusion dans l’interprétation.)

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