Meur Mohamed Ennaceur m’a offert l’opportunité de finir ma carrière de la plus belle des manières

Essoussi Kamel

Mai 2011 , 6 mois avant ma retraite . Mohamed Ennaceur était ministre des affaires sociales . Mon excitation était à son comble à la CNRPS . Je remuais, m’agitais dans tous les sens, m’investissais au-delà des limites physiques jusqu’à l’épuisement et respirais à pleins poumons cette bourrasque de libertés qui soufflait si fort à en perdre ma respiration. Je me défonçais à écrire des articles scalpels, sur la sécurité sociale, sa gouvernance, ses heurts et malheurs que le journal  » la Presse »de l »époque publiait sans réserves.

Je buvais ce jour là mon café du matin tranquille sur la terrasse de l’Avenue avec les plus illuminés de mes collègues lorsque mon portable sonna. C’était le Mohamed Ennaceur en personne qui ne me connaissait pas auparavant. Il me donnait rendez vous pour une heure de l’après midi à son bureau. Tiens , me suis-je dit,. Il veut surement me blâmer pour laisser le PDG de l’époque, avec qui j’étais en bisbille, tranquille. J’affûtais mes armes en conséquences pour tout déballer, casser la baraque au besoin Je m’en foutais !

Il me reçut avec un sourire large, rassurant. Il m’informa qu’il aimait me lire et me montra la pile d’articles qu’il collectionnait dans dans une chemise sous sa main, me citant certaines expressions dont il se délectait comme cette  » Bourrasque »de la révolution. Rien mais alors rien de belliqueux dans son attitude et son discours .Je baissais les armes. Il me désarmait.
Il me confiait la tâche d’aller sonder à Genève auprès des instances internationales, à l’occasion de la 100 ème conférence de l’OIT, les dernières directives en matière de protection sociale des populations vulnérables. Et me voilà quelques jours plus tard habillé de mon plus beau costard au Palais des nations à déambuler libre dans des couloirs bondés de représentants de tous les pays de la planète et installé le temps des séances plénières sur le pupitre de mon pays à écouter les interventions ennuyeuses des pays encore sous dictature, discours lissés à flatter leurs politiques et versant dans la langue de bois qui me semblait si bizarre en ce moment bien que mes oreilles en aient été polluées 23 ans durant. Je décidais alors d’agir, ratais la séance matinale du lendemain et m’en allais dans un coin rédiger mon discours de dix minutes, protocole exige, que je fis sortir du fond des tripes, libre, sans consignes aucunes, sur la situation du pays que je redécouvrais à aimer. Lorsque je pris la parole devant les délégués de 187 pays, je ne pensais pas à la réaction des autres. Mon seul souci était d’essayer de communiquer pour expliquer, sans le dire, que ce qu’avait accompli ce petit peuple minuscule était gigantesque planétairement. Il est vrai que le sujet sur la pauvreté et la justice sociale s’y prêtait. Lorsque je conclus par les remerciements d’usage, je n’avais même pas écouté l’ovation debout de toute la salle. Tout ce dont je me rappelle, c’est l’interruption de la séance pour quelques minutes à cause de l’agitation que j’ai crée à recevoir les félicitations de tous les autres délégués qui se déplaçaient qui pour m’embrasser, qui pour me féliciter, qui pour me dire qu’ils sont émus, qui encore curieux de savoir où en est- on dans ce pays, ou pour m’affirmer qu’ils ont confiance dans l’avenir de ce peuple…. La gorge nouée d’émotion, je quittais cette effervescence de la salle, m’isolais dans un petit coin discret de l’immense hall qui donnait sur un océan de verdure et commençais à chialer comme un môme, probablement envahi par un sentiment bizarre où tout se mêlait : l’émotion, la fierté d’appartenir à ce peuple, l’ivresse de liberté et le brin de narcissisme qui me caractérisait.

6 mois encore à collaborer ensemble étroitement sur ce sujet avant que ces barbus ne débarquent fin octobre 2011 pour tout dénaturer.
Merci , Monsieur le Président de la république , de m’avoir offert l’opportunité de finir ma carrière de la plus belle des manières , en fusion totale avec le pays , comme la vôtre d’ailleurs mais en beaucoup plus grand.

Essoussi Kamel