La France a enfin décidé de bouger face à l’aggravation continue et sans précédent de la crise économique et financière. C’est ce qui ressort de la visite qu’a effectuée les 1er et 2 février à Tunis le directeur général du Trésor Emmanuel Moulin ( photo ci-haut ) qui est en même temps le président du Club de Paris.
Cette visite intervient dix jours après l’entretien téléphonique du 22 janvier entre les présidents Kais Saied et Emmanuel Macron. Si on est sûr que les deux hommes ont parlé de la crise, on ne sait rien de ce qu’a dit réellement le premier et ce qu’a répondu le second, sachant que les communiqués des présidences sont faits généralement pour mettre en valeur l’insignifiant et cacher l’essentiel.
L’essentiel a sans doute été le 2 février au centre des discussions qu’a eues l’hôte français avec le gouverneur de la Banque centrale et la ministre des Finances. Et l’essentiel dans les conditions désastreuses du pays, n’est pas le diagnostic du mal, mais les moyens et les solutions qui devraient être mis en œuvre pour l’empêcher de ruiner le pays.
Le mal est connu : depuis dix ans, on ne produit pas et on vit à crédit. Viendra un moment où on ne trouve plus de prêteurs et le spectre de la banqueroute, de l’effondrement de l’Etat prédit par le Forum de Davos, de l’anarchie et du sauve-qui-peut commence à poindre à l’horizon. Et ce moment de vérité n’est plus très loin, si l’on continue sur la voie de l’incompétence, de la nonchalance, de l’indolence et de l’inconscience.
La situation devient effrayante chaque jour un peu plus. Les fins de mois étaient toujours difficiles pour les déshérités et les gagne-petit. Aujourd’hui, elles sont cauchemardesques pour pratiquement tout le monde. Et en particulier pour l’Etat, tenu de verser les salaires pour les employés des administrations pléthoriques, de venir en aide à des entreprises publiques à genoux, de subventionner les produits pétroliers avec un baril qui flirte avec les 100 dollars, sans parler des produits de première nécessité qui se font d plus en plus rares.
Mais la situation n’est plus effrayante seulement pour les Tunisiens. Elle l’est aussi désormais pour les pays frères et amis, l’Algérie et la France en premier.
L’Algérie n’a pas dû trop apprécier le fait que les quelques centaines de millions de dollars prêtés pour aider l’économie à mieux respirer soient convertis en dinars pour payer les salaires du mois de janvier. Et leurs dirigeants doivent se faire des soucis, redoutant légitimement pour leur sécurité, si par malheur l’Etat tunisien s’effondre et l’anarchie se répand.
La France doit être tout aussi soucieuse de l’évolution économique, sociale et politique dangereuse que connait le pays. Confrontée à des difficultés politiques et militaires en Afrique subsaharienne, en butte à une crise politique quasi-permanente avec l’Algérie, la France ne pourra certainement pas s’accommoder d’une Tunisie à vau-l’eau. D’autant que la frontière liquide qui sépare Tunis de Marseille, aussi vaste soit-elle, n’est ni étanche ni infranchissable.
Les dirigeants français doivent considérer avec la plus grande appréhension les développements dangereux de la crise tunisienne. Si par malheur les prévisions du Forum de Davos se confirment, la France serait l’une des premières destinations des vagues d’émigration massive qui s’ensuivraient. Une perspective cauchemardesque de nature à faire surgir dans la mémoire française les tristes souvenirs des drames des « boat-people » vietnamiens et cambodgiens de la fin des années 1970 du siècle dernier.
C’est là un argument solide qui devrait convaincre la France d’accompagner la Tunisie dans cette mauvaise passe et de l’aider à se relever. Mais il y a un autre argument tout aussi fort et tout aussi convaincant. L’une des raisons essentielles de l’effondrement économique en Tunisie est l’anarchie qui sévit depuis onze ans en Libye, ancien principal marché pour la main d’œuvre et les produits tunisiens. Or, la France, en contribuant à la destruction de l’Etat chez notre voisin du sud-est, assume une responsabilité fondamentale dans le malheur vécu onze ans durant par les Libyens et, par ricochet, les Tunisiens. Il est à souhaiter que cette donnée cardinale soit rappelée à l’hôte français par le gouverneur de la Banque centrale et la ministre des Finances.
Il est hautement probable que la Tunisie n’aura plus d’autre choix que de passer sous les fourches caudines du Club de Paris, dont M. Emmanuel Moulin est président. Dans cette éventualité, le patron du Club de Paris devrait avoir présent à l’esprit que si la Tunisie assume la plus grande responsabilité de ce qui lui arrive, d’autres facteurs exogènes doivent être aussi pris en compte.
Cela dit, s’il est bon d’espérer l’aide des amis, il faut tout d’abord et avant tout commencer à s’aider soi-même. Comment ? En commençant dès maintenant à interdire, sous peine de prison, à quiconque entraverait les activités vitales dans les domaines miniers et énergétiques. A s’occuper moins de projets politiques farfelus et fantasmagoriques aux dépens de l’économique et du social. A ouvrir sans peur et sans hésitation devant les cours de justice les graves dossiers en relation avec les détournements de fonds publics, la corruption et le terrorisme.
Hmida Ben Romdhane