La livre turque continue sa descente aux enfers face au dollar

Les marchés financiers auront les yeux rivés, lundi 13 août , sur le cours de la livre turque qui a été malmenée ces derniers jours. Une chute que le président turc Recep Tayyip Erdogan attribue aux États-Unis, sur fond de conflits géopolitiques et économiques.

Quelle est l’ampleur de l‘hémorragie ?

Trois, puis quatre, puis cinq et maintenant six : les Turcs observent, depuis plusieurs années, l’inexorable dépréciation de leur monnaie face au dollar. Après être longtemps restée sous la barre des deux pour un dollar, la livre turque a franchi ce palier, en 2014, avant de passer à trois contre un billet vert dans la foulée du putsch manqué en 2016. Mais l’hémorragie s’est aggravée cette année : après avoir dépassé quatre pour un dollar, la livre turque a fondu comme neige au soleil au cours des dix derniers jours. Vendredi, elle a franchi le seuil psychologique de six contre un billet vert, perdant 16 % de sa valeur.

« Avec l’aide de Dieu, nous surmonterons cela »

Recep Tayyip Erdogan a estimé, ce dimanche, que cette chute résultait d’un « complot politique » contre son pays, alors que ses relations avec les États-Unis sont en crise. « Le but de l’opération est d’obtenir la reddition de la Turquie dans tous les domaines, de la finance à la politique. Avec l’aide de Dieu, nous surmonterons cela », a-t-il déclaré devant des partisans réunis à Trébizonde (nord-est). Lors d’un discours à Rize, samedi, sur la Mer noire, il s’en est aussi pris aux taux d’intérêt, « un instrument d’exploitation qui rend les pauvres plus pauvres et les riches plus riches ».

De son côté, le président américain, Donald Trump a annoncé la hausse des taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium turcs, désormais de 50 % et 20 % respectivement, notant que les relations entre les États-Unis et la Turquie n’étaient « pas bonnes en ce moment ». Si Washington est prêt à sacrifier ses relations avec Ankara, la Turquie réagira « en passant à de nouveaux marchés, de nouveaux partenariats et de nouveaux alliés, aux dépens de celui qui a lancé une guerre économique contre le monde entier, y compris notre pays », a-t-il menacé. Il a laissé entendre que c’était l’ensemble de l’alliance entre la Turquie – devenue membre de l’Otan en 1952 avec le soutien de Washington – et les États-Unis qui était en jeu.

Quelles sont les raisons de cette escalade entre Ankara et Washington ?

Cet épisode monétaire fait suite à deux années de relations tendues entre ces deux pays alliés au sein de l’Otan. La présence aux États-Unis, depuis 1999, du prédicateur turc Fethullah Gülen est probablement le principal objet de la colère d’Ankara. La Turquie accuse en effet cet ancien allié du président Recep Tayyip Erdogan d’avoir fomenté le putsch manqué du 15 juillet 2016 et traque depuis sans relâche ses partisans. Ankara a demandé à plusieurs reprises l’extradition de Fethullah Gülen, qui dément toute implication dans le coup d’État avorté. Mais à ce jour, ces demandes sont restées lettre morte. Il reste que l’affaire qui a fait éclater la crise actuelle est la détention, pendant un an et demi, suivie du placement en résidence surveillée, la semaine dernière, d’un pasteur américain, Andrew Brunson. Ce dernier, qui dirigeait une église protestante à Izmir, est accusé d’espionnage et d’avoir agi pour le compte du réseau de Fethullah Gülen, mais aussi pour le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Par ailleurs, la Turquie ne cesse de reprocher aux États-Unis le soutien apporté en Syrie aux Unités de protection du peuple kurde (YPG) pour lutter contre le groupe État islamique. Ankara voit en effet dans cette milice une émanation du PKK, classé « terroriste » par la Turquie mais aussi les États-Unis.

Quelles seraient les conséquences d’une poursuite de la chute de la livre ?

Selon Capital Economics, le plongeon de la livre turque risque d’accroître la pression sur le secteur bancaire en Turquie en raison de l’étendue du boom des crédits et du fait qu’un tiers des prêts bancaires sont libellés en devises étrangères. Si l’effondrement de la livre se poursuit et menace de déboucher sur une crise économique, le gouvernement turc dispose encore de leviers pour faire face. Il pourrait ainsi prendre des mesures de contrôle des capitaux ou encore faire appel au FMI, même si cette dernière mesure serait difficile à avaler pour Recep Tayyip Erdogan qui s’enorgueillit d’avoir réglé les dettes de la Turquie.