Gaz russe : l’Europe doit réduire sa demande

La Commission européenne a présenté un plan visant à diminuer la demande européenne de gaz pour anticiper les réductions des livraisons russes en hiver. La démarche suscite la réticence de certains Etats et l’inquiétude des industriels.

«Economiser le gaz pour un hiver sûr» : tel est le nom du plan présenté le 20 juillet par Bruxelles, avec un objectif de réduction de la consommation européenne de gaz fixé à hauteur de 15% pour faire face à la diminution des livraisons russes et de passer l’hiver sans catastrophe majeure. La Commission européenne a ainsi préparé un arsenal de mesures censées permettre aux Vingt-Sept d’affronter une éventuelle rupture des approvisionnements fournis par Moscou, qui représentaient environ 40% de leurs importations gazières en 2021.

« Ceux qui demanderont la solidarité devront faire la démonstration qu’ils ont mis en œuvre toutes les mesures nécessaires à la réduction de la demande de gaz russe »

«La Russie utilise le gaz comme arme. En cas d’interruption totale, l’Europe devra être prête», a déclaré la présidente de l’exécutif européen, Ursula von der Leyen, alors que les Vingt-Sept avaient exprimé leur inquiétude quant au redémarrage du gazoduc Nord Stream par lequel transite un tiers des livraisons de gaz russe à l’UE. Fermé depuis le 11 juillet pour des opérations de maintenance, il a redémarré ce 21 juillet.

Vives réserves de plusieurs Etats membres

Le plan établi par la Commission, qui doit encore être validé par les Etats membres, prévoit que chaque pays devra «faire tout son possible» pour réduire, entre août 2022 et mars 2023, sa consommation de gaz d’au moins 15% par rapport à la moyenne des cinq dernières années sur la même période. Les Etats devront détailler d’ici à fin septembre leur feuille de route dans ce domaine, et devront «rendre compte à la Commission des progrès réalisés tous les deux mois», précise le communiqué. Certains, comme la Finlande et les Pays-Bas, auraient déjà atteint l’objectif selon l’AFP.

En outre, en cas de «risque de grave pénurie», Bruxelles souhaiterait pouvoir, après consultation des Etats, activer un mécanisme d’alerte qui rendrait «contraignante» la réduction de la consommation de gaz de 15%. Dans ce cadre, Bruxelles s’appuie sur l’article 122 des traités de l’UE : celui-ci stipule que «le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l’approvisionnement de certains produits, notamment dans le domaine de l’énergie».

 

De plus, l’UE prône la solidarité entre les Etats membres pour faire appel aux uns et aux autres en cas de difficulté d’approvisionnements, mais en posant des conditions. «Ceux qui demanderont la solidarité devront faire la démonstration qu’ils ont mis en œuvre toutes les mesures nécessaires à la réduction de la demande de gaz russe», a ainsi expliqué Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur.

Le plan sera examiné le 26 juillet par les ministres européens de l’Energie et fait d’ores et déjà l’objet de vives réserves de la part de plusieurs Etats, dont la Pologne et l’Espagne. «Nous nous opposerons à l’imposition d’obligations, en termes d’efforts, au-dessus de ce qui nous correspond», a ainsi tonné la ministre espagnole de la Transition écologique Teresa Ribera, dénonçant une mesure qui ne serait ni «juste» ni «efficace». Par ailleurs, «la Hongrie a indiqué qu’elle ne partagerait pas son gaz avec les autres pays de l’UE en cas d’urgence», relève Euractiv.

De son côté, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans a souligné la nécessité d’«agir maintenant» pour ne pas devoir le faire «en urgence dans des circonstances bien plus catastrophiques». Malgré un gonflement des importations gazières de Norvège, d’Azerbaïdjan ou d’Algérie et un triplement depuis mars des acheminements de gaz naturel liquéfié américain, les Européens redoutent un hiver difficile. Ursula von der Leyen a estimé qu’il était possible de réduire la consommation annuelle de gaz dans l’UE à hauteur de 45 milliards de mètres cubes : pour comparaison, la Russie avait fourni en 2021 quelque 155 milliards de mètres cubes aux Vingt-Sept.

Le patronat européen redoute des «effets économiques désastreux»

Environ 11 milliards de mètres cube pourraient ainsi être économisés via une baisse de chauffage ou de climatisation, avec des mesures contraignantes pour les bâtiments publics et commerciaux, ainsi que des campagnes de communication à destination des ménages pour les inciter à diminuer le thermostat de 1 degré. Par ailleurs, 11 milliards de mètres cubes pourraient encore être économisés en recourant davantage aux énergies renouvelables et 7,2 milliards en réduisant la consommation des industriels, qui a déjà flanché sous l’effet de la flambée des prix. Les «clients protégés» (ménages, services sociaux, hôpitaux et PME, dont l’approvisionnement est garanti) représentent moins de 37% de la consommation totale de gaz. La Commission cible donc particulièrement la consommation des centrales électriques et de l’industrie.

Pour la production électrique, «la priorité doit être donnée aux renouvelables, mais le recours au charbon, au pétrole, au nucléaire peut s’avérer nécessaire à titre temporaire», reconnaît Bruxelles, qui demande aux pays désireux de renoncer à l’atome civil de reporter leurs projets de fermeture de centrales nucléaires. Pour les industriels, le texte rappelle les solutions alternatives (passage à la biomasse ou au biométhane, électrification de certaines machines) et propose aux Etats d’établir «des systèmes d’enchères» qui offriraient aux entreprises des «compensations» en échange d’une réduction de consommation.

La Commission entend éviter les fermetures d’usines et la perte de machines pouvant être détruites en cas d’arrêt total, tout en préservant la production de biens essentiels et en aidant les secteurs n’ayant que des marges de manœuvre réduites, comme la chimie qui utilise le gaz comme matière première. Selon Le Figaro, le secteur du luxe et celui de l’automobile seraient sans doute les premiers à être arrêtés, tandis que la production d’acier ne serait pas non plus à l’abri. Les milieux économiques se sont alarmés de ces possibles réductions de production imposées aux entreprises : selon l’organisation patronale européenne BusinessEurope, celles-ci «auraient des effets économiques désastreux et un impact souvent irréversible» : il ne faudrait donc les envisager qu’en «tout dernier recours».