« Les réserves de change de la Tunisie seraient déjà en dessous de la ligne rouge de 90 jours d’importation »
La notation souveraine de la Tunisie a été revue à la baisse à neuf reprises par les agences de notation Moody’s et Fitch Ratings. En effet, avant 2011, la Tunisie était notée BBB+ avec une perspective positive. Elle était ainsi à un pas d’une notation A. Mais notre notation avait commencé à être revue à la baisse depuis 2011 pour atteindre en 2021 la notation CCC- avec une perspective négative. La conséquence de ces révisions à la baisse était que la Tunisie était progressivement exclue du marché financier International par une augmentation significative du taux d’intérêt d’une part et par une réduction de la durée (et de la duration) des crédits que la Tunisie pouvait contracter.
De ce fait l’État, au lieu d’engager les réformes nécessaires, s’est mis à chercher d’autres formes d’emprunt afin de satisfaire un appétit insatiable des finances publiques tunisiennes pour toutes formes de financements. En 2018 l’État tunisien empruntait sur le marché financier International avec une marge de l’ordre de 6%. En même temps les banques tunisiennes géraient des dépôts en devises à vue appartenant essentiellement à des clients étrangers non résidents. Il faut souligner là deux termes clés « à vue » et « clients étrangers non résidents ». Ces dépôts étaient placés par les banques à des taux très faibles, autour de 1%. Et les banques n’offraient et n’offrent toujours aucune rémunération à leurs clients.
En 2018 il avait été proposé à l’État d’emprunter en devises auprès des banques tunisiennes sur des durées allant de 3 à 5 ans à des marges d’intérêt de 2 à 3%. L’opération était justifiée par une logique de gagnant- gagnant. L’État empruntait moins cher que sur le marché financier International et les banques gagnaient davantage. Notez que les banques n’offrent toujours aucune rémunération pour leurs clients.
Ce qui avait été négligé dans ce processus c’étaient les principes de base de gestion prudente de la liquidité bancaire . Comment en effet faire des prêts à l’État sur 3 à 5 ans à partir de dépôts à vue (donc exigibles à tout moment) appartenant pour l’essentiel à des clients étrangers non résidents.
Dés la mise en place de la première opération du genre pour un montant (en Euros et en Dollars) équivalent à 1,5 milliard de Dinars j’avais alerté le Ministre des finances par écrit et verbalement sur la gravité de cette forme de financement sur la gestion de la liquidité en devises des banques. Cette alerte s’était faite publiquement sur un plateau de télévision sur lequel le Ministre des finances était intervenu en direct pour défendre l’opération, mais avec des arguments très faibles. Je lui avais conseillé de ne plus recourir à un tel financement.
La BCT, responsable de la supervision bancaire, et notamment de la gestion rigoureuse de la liquidité par les banques aurait dû s’opposer à cette opération. Au lieu de s’y opposer la BCT avait autorisé l’opération et le Gouverneur de la BCT avait assisté à la cérémonie de signature et l’avait applaudie.
Cette opération de financement avait été suivie de cinq autres opérations du même genre, toujours en Euros et en Dollars, pour atteindre l’équivalent d’environ 7 milliards de Dinars !!! Les six opérations étaient autorisées et applaudies par la BCT.
Vue la crise des finances publiques l’État n’a remboursé aucun de ces crédits. À chaque échéance de remboursement l’État demande aux banques un nouveau prêt pour rembourser celui qui est arrivé à échéance. Autant dire que le système bancaire tunisien se trouve aujourd’hui piégé par une série de prêts en devises financés par des dépôts à vue appartenant essentiellement à des clients étrangers non résidents, et que l’État ne rembourse pas.
Par ailleurs et si un jour l’État décide de rembourser ces prêts, ce remboursement se traduirait par une baisse très importante des réserves de change du pays. Ceci nous fournit une autre preuve pour dire que les réserves de change, telles que calculées par la BCT et exprimées en nombre de jours d’importation, sont largement surestimées. Les réserves de change de la Tunisie seraient en effet déjà largement en dessous de la ligne rouge de 90 jours.
En plus de cela il faudrait tenir compte des factures impayées de certaines entreprises publiques vis-a-vis de leurs fournisseurs étrangers (par exemple la Pharmacie Centrale pour plus de 800 millions de Dinars). Le paiement de ces factures viendrait en déduction des réserves de change telles qu’affichées par la BCT !!!
Si l’on refuse de voir notre réalité en face nous ne serons jamais capables de prendre les mesures nécessaires pour sauver ce qui peut / ce qui devrait être sauvé.
Ezzeddine Saidane